Loi pacte : nouvelles règles pour les seuils d’effectif

17 décembre 2019

Les seuils d’effectif permettent de soumettre ou non une entreprise à des obligations et à divers régimes juridiques adaptés à la taille de l’entreprise. L’ensemble est très hétérogène puisqu’il y a plus de 199 seuils disséminés dans la législation française. La loi PACTE vient uniformiser et harmoniser une partie des règles applicables. Pour ce faire, elle rationalise et unifie différents seuils, elle prévoit un nouveau mécanisme de décompte des effectifs et d’atténuation des franchissements de seuil.

Adoptée définitivement le 11 avril 2019 par l’Assemblée Nationale et publiée au Journal officiel le 23 mai 2019, la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises : Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises – voir le lien) comporte de nombreuses mesures touchant les entreprises qui sont donc, pour certaines, déjà entrées en vigueur. Riche de 221 articles avant son passage devant le Conseil constitutionnel, cette réforme d’envergure ambitionne, selon le Ministre de l’Économie et des Finances M. Bruno Lemaire, de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois. Le législateur entend ainsi faciliter la vie des entreprises et les « libérer » comme le souligne les intitulés de la loi. C’est dans cette optique que le législateur a réformé les seuils d’effectif applicables aux entreprises françaises.

Il s’agit de l’une des mesures phares de la loi PACTE (Art. 11 et 12) qui prévoit 3 modifications d’ampleur : limiter le nombre de seuils à trois niveaux de 11, 50 et 250 salariés, harmoniser les modalités d’appréciation des effectifs et enfin prévoir un mécanisme uniforme d’atténuation des effets de seuil à la suite d’un franchissement des seuils d’effectif. Cette réforme devrait contribuer à la croissance des entreprises et favoriser la création d’emploi tout en libérant, une fois encore, les entreprises de certaines obligations. Toutefois, l’efficacité du nouveau dispositif sur l’emploi est, selon certains auteurs, à relativiser (V. not. P. Lokiec, « Coup de griffe sur les seuils sociaux », Dr. Social, 2019, p. 6). L’étude d’impact le révèle elle-même en annonçant que « l’effet de l’extension des dispositifs de passage de seuil sur l’emploi n’a pas été évalué, mais ceux-ci seraient créateurs d’emplois ». En revanche, il est évident que cette refonte d’envergure va simplifier et harmoniser de très nombreux dispositifs existants et surtout les rendre plus lisibles. Cependant, la simplification ne devrait pas être aisée dans les premiers mois d’application des nouvelles règles car l’harmonisation va aussi modifier le fonds du droit. En effet, la détermination et le franchissement des seuils d’effectif ont des conséquences importantes puisqu’ils conditionnent l’application de certains régimes juridiques et obligations tout en proportionnant les contraintes administratives ou financières à la taille des entreprises. Ces seuils d’effectif se rencontrent ainsi dans des domaines divers comme le droit des sociétés, le droit social ou encore le droit fiscal.

Comme le recense l’étude d’impact du projet de loi PACTE, il y a aujourd’hui 199 seuils dans la législation française ce qui, certes, permet une adaptation des règles et contraintes à la taille juridique de l’entreprise, mais aussi et surtout constitue une source de complexité et de difficulté pour les dirigeants et leurs conseils. Cette situation tient essentiellement à la diversité des modes de décompte des seuils et à la multiplicité des niveaux de seuils. Aussi, le législateur a-t-il décidé d’intervenir en commençant par rationaliser et unifier les seuils.

1. Une rationalisation et une unification des seuils d’effectif

Dans un objectif de simplification, le législateur a décidé d’unifier les seuils d’effectif autant que possible. Le droit français devrait désormais privilégier trois niveaux de seuil afin de déclencher des obligations pour les entreprises : 11, 50 et 250 salariés. L’objectif de cette unification et de cette rationalisation est louable et guère contestable tant elles devraient contribuer à l’harmonisation et à la simplification de l’environnement juridique des entreprises.

Certains seuils sont ainsi purement et simplement supprimés comme celui de l’article L. 121-4 du Code de commerce relatif au statut du conjoint collaborateur du gérant associé unique ou du gérant associé majoritaire d’une société à responsabilité limitée ou d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée. De plus, la loi PACTE tend à réduire les seuils d’effectif fixés à 20 salariés, ce qui a, par exemple, pour effet de rendre obligatoire les règlements intérieurs seulement dans les entreprises ou établissements employant au moins cinquante salariés et non plus de 20 salariés (Art. L. 1311-2 Code du travail. Il en va de même, en matière de cotisations sociales, pour le dispositif de l’article L. 834-1 du Code de la sécurité sociale qui met fin à l’application d’un taux réduit pour la participation au fonds national d’aide au logement (FNAL) qui passe donc de 20 à 50 salariés. Enfin, toujours dans cette optique de rapprochement des seuils vers l’un des trois retenus par le législateur dans la loi PACTE, des seuils d’effectif sont modifiés comme celui de l’article 44 octies A du CGI qui passe de 51 salariés à 50 salariés (seuil d’effectif en deçà duquel le régime d’exonération d’impôt sur les bénéfices en faveur des entreprises implantées en zone franche urbaine-territoire entrepreneur peut s’appliquer) ou celui de l’article L. 225-115 du Code de commerce qui passe de 200 à 250 salariés (seuil à partir duquel la communication aux actionnaires des rémunérations versées aux dix personnes – et non des cinq – les mieux rémunérées est obligatoire). Ces différents rapprochements des seuils semblent heureux et conformes aux objectifs de simplification et d’harmonisation du législateur. Ils s’accompagnent aussi d’un nouveau mécanisme de décompte des effectifs salariés.

2. Un nouveau modèle de détermination des effectifs étendu

Pour poursuivre son objectif d’harmonisation, le législateur instaure un mécanisme type de décompte des effectifs afin de déterminer si un seuil est franchi ou non. Il s’agit d’une question extrêmement sensible puisque c’est la détermination exacte de l’effectif qui va ensuite conditionner l’application ou non de certaines obligations dans l’entreprise. Or, comme l’a souligné l’étude d’impact, de nombreuses différences existent quant aux modalités de calcul des effectifs et ceci, parfois, au sein d’un même code. Elles portent sur la période de référence, sur la nature des effectifs pris en compte ou encore sur le niveau d’appréciation d’un effectif. Aussi, afin d’uniformiser la pratique, la loi PACTE ajoute, au début du titre III du livre I du Code la sécurité sociale, un nouveau chapitre préliminaire dont l’intitulé est limpide : « Décompte et déclaration des effectifs ». Ce nouveau chapitre contient un article unique, l’article L. 130-1, qui établit les règles de calcul des effectifs applicables en droit de la sécurité sociale à l’exception de la tarification au titre du risque professionnel pour laquelle devra être pris en compte l’effectif de la dernière année connue (art. L. 130-1 I al. 2 Code de la sécurité sociale). Désormais, l’effectif d’un employeur, y compris pour les personnes morales comportant plusieurs établissements, correspond à la moyenne du nombre de personnes employées au cours de chacun des mois de l’année civile précédente. Il s’agit finalement d’une transposition au niveau législatif de la règle déjà énoncée par l’article R. 130-1 du Code de la sécurité sociale applicable à la DSN. Par ailleurs, le nouveau texte issu de la loi PACTE ajoute qu’un décret en Conseil d’État définira les catégories de personnes incluses dans l’effectif et les modalités de leur décompte. Or, sur ce point, l’étude d’impact précise que « les dispositions réglementaires actuellement en vigueur du code de la sécurité sociale seront toutefois modifiées pour que les mandataires sociaux du régime général ne soient plus pris en compte ». Cela permettra de garantir la neutralité du statut de l’entreprise dans le cadre du décompte de l’effectif. Enfin, le nouvel article de référence précise que l’effectif à prendre en compte pour l’année de création du premier emploi salarié titulaire d’un contrat de travail dans l’entreprise correspond à l’effectif présent le dernier jour du mois au cours duquel a été réalisée cette première embauche. Hormis intégrer la partie législative du Code, ce mécanisme de calcul des effectifs n’est guère surprenant en droit de la sécurité sociale. En revanche, son application ne se limite pas au seul droit de la sécurité sociale.

Les règles de calcul des effectifs issues du nouvel article L. 130-1 du Code de la sécurité sociale ont en effet vocation à s’appliquer bien au-delà des seules règles issues du Code de la sécurité sociale. En ce sens, l’article 12 de la loi PACTE étend la démarche de simplification et d’unification des nouvelles modalités de calcul des effectifs à l’application de certains dispositifs fiscaux comme celui de l’article 44 octies A déjà évoqué ou encore l’option des sociétés de capitaux pour le régime des sociétés de personnes en vertu de l’article 239 bis AB du CGI. De même, l’article 11 de la loi PACTE étend le champ d’application des nouvelles règles du Code de la sécurité sociale à diverses dispositions contenues dans d’autres codes comme l’article L. 561-3 du Code de l’environnement ou encore l’article L. 1231-15 du Code des transports. Mais c’est surtout en matière de droit du travail que l’uniformisation des modes de calcul prend toute son importance, tout en soulignant l’absence d’une véritable harmonisation à la suite de la loi PACTE. En effet, en droit social, les articles L. 1111-2 et L. 1111-3 du Code du travail fixent les modalités de calcul des effectifs et ces dispositions ne sont aucunement modifiées par la loi PACTE. Toutefois, par dérogation et en vertu de l’article 11 de la loi PACTE, le modèle de calcul du Code de la sécurité sociale va s’appliquer en droit du travail dans différents domaines, ce qui a été jugé conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel (C. constitutionnel, Décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019). De plus, ce même article 11 de la loi prévoit la création de nouveaux articles dans le Code du travail (Art. L. 1231-7, L. 4228-1, L. 4461-1 et L. 4621-2 du Code du travail) afin d’étendre le modèle de calcul du Code de la sécurité sociale à certains seuils du Code du travail de niveau réglementaire. L’uniformisation n’est donc pas totale. Cela se justifie par la nécessité de retenir un critère d’effectif cohérent et adapté à chaque règle de droit concernée et par la volonté de ne pas créer une instabilité juridique en revenant, déjà, sur les ordonnances travail. Cependant, l’harmonisation apportée par la loi PACTE est importante, d’autant qu’elle ne se limite pas à la seule méthode de détermination de l’effectif de l’entreprise.

3. Une harmonisation des règles de franchissement des seuils

Le nouvel article L. 130-1 du Code de la sécurité sociale vise, à son II, les mécanismes d’atténuation des effets de seuil. Une fois encore, l’étude d’impact de la loi PACTE avait dénombré de nombreux « dispositifs de limitation des effets de seuils qui sont instables, partiels et hétérogènes ». Or, les conséquences d’un franchissement à la hausse ou à la baisse d’un seuil sont majeures pour les entreprises et leurs salariés, telle la mise en place d’une institution représentative du personnel. Aussi faut-il saluer la nouvelle disposition du Code de la sécurité sociale qui énonce qu’un franchissement à la hausse d’un seuil ne sera pris en compte que lorsque ce seuil aura été atteint ou dépassé durant cinq années civiles consécutives. Ainsi, dès que l’entreprise repassera sous le seuil, pendant le délai de cinq ans, le délai courra à nouveau. De plus, un franchissement de seuil à la baisse provoquera, quant à lui, ses effets bien plus rapidement puisqu’il suffira de le constater sur une année civile complète. Bien que déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision du 16 mai 2019, op. cit.) et assurant une simplification certaine, le II du nouvel article L. 130-1 du Code de la sécurité sociale demeure très critiqué (V. not. C. Willmann, « Décompte des effectifs, nouveaux seuils : avancer pour mieux reculer », Droit social, 2019, p.10, n°53 et s.). Il est vrai qu’il existe un risque évident de détournement de la loi, mais ce nouvel encadrement législatif devrait contribuer à la croissance des entreprises en atténuant certains effets de seuil puisqu’il s’appliquera en droit de la sécurité sociale mais aussi à d’autres seuils d’effectif visés par la loi PACTE à ses articles 11 et 12 (V. par ex. : art. 44 octies A CGI ou art. L. 1231-15 du Code des transports). Il n’en demeure pas moins que l’application dans le temps de ce mécanisme d’harmonisation des effets de seuil fait naître quelques difficultés.

4. L’application dans le temps des nouvelles règles

Les modalités d’entrée en vigueur des nouvelles règles de calcul et de franchissement des seuils d’effectif définies par l’article L. 130-1 du Code de la sécurité sociale soulèvent différentes interrogations envisagées par la loi PACTE. Il est ainsi prévu que l’article 11 de la loi PACTE entre en vigueur au 1er janvier 2020 sauf dispositions contraires. Ce même article 11 prévoit alors différentes mesures transitoires pour les anciens mécanismes d’atténuation ou de gel des effets de seuil. En matière fiscale, l’application des nouvelles règles semblent en revanche moins évidente. L’article 12 de la loi traite de l’application des nouvelles règles sur les seuils d’effectif à certains dispositifs fiscaux. Plusieurs hypothèses sont visées par le législateur qui prévoit, selon les dispositifs concernés, une application aux activités créées à compter du 1er janvier 2019, aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019 ou à compter des impositions établies au titre de 2019. Deux difficultés méritent alors d’être signalées : comment faire lorsque l’exercice fiscal ne coïncide pas avec l’année civile visée par l’article L. 130-1 du code de la sécurité sociale ? De plus, comment cet article entrant en vigueur au 1er janvier 2020 peut-il s’appliquer en 2019 ? La simplification ici ne semble pas de mise et les éclairages de l’administration fiscale attendus.