La loi du 19 juillet 2019 vient alléger le formalisme applicable à la cession et à l’apport de fonds de commerce, tout comme elle facilite sa mise en location-gérance.
Si la loi PACTE du 22 mai 2019 occupe tous les esprits, il ne s’agit pas de la seule réforme récente en droit des sociétés. Dans les tiroirs depuis 2014, la proposition dite « Soilihi », du nom du sénateur qui en est à l’origine, a mis des années avant d’être examinée. C’est enfin chose faite et différents pans du droit des sociétés français sont ainsi modifiés par cette Loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés.
Monsieur le sénateur Thani Mohamed Soilihi, rapporteur en 2013 du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, avait alors précisé que plusieurs suggestions complémentaires de simplification ou de clarification pouvaient être envisagées en droit des sociétés. Il avait en ce sens déposé au Sénat, le 4 aout 2014, une proposition de loi, riche de 60 articles, tendant à la clarification et à l’actualisation du Code de commerce. En raison du calendrier parlementaire, il fallut attendre le 1er juin 2016 pour que la commission des lois du Sénat se saisisse de la proposition et établisse un texte en vue de son examen en séance. Toutefois, ce n’est que le 8 mars 2018 que le texte fut adopté par le Sénat et transmis à l’Assemblée nationale. Mais son parcours chaotique était encore loin d’être terminé ! En effet, le 27 mars 2019, l’Assemblée nationale adopta un texte modifié, revenant notamment sur la rédaction proposée par les sénateurs de l’article 1844 du Code civil. Dans un souci d’accélération du processus, le Sénat adopta enfin, le 10 juillet 2019, sans modification et en deuxième lecture donc, la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture. Au cœur de l’été 2019, la loi a finalement été promulguée par le Président de la République et publiée au journal officiel du 20 juillet 2019. Aussi, ces dispositions sont-elles applicables depuis le 21 juillet 2019.
Il est évident que, de manière générale, la loi du 19 juillet 2019 obéit à son intitulé et que ses 37 articles, organisés en 4 chapitres, permettent donc bien une simplification, une clarification et une actualisation du droit des sociétés français. Technique et bien moins médiatisée que la récente loi PACTE, cette réforme porte essentiellement sur le droit des sociétés, même si elle allège également quelques règles applicables aux opérations portant sur les fonds de commerce et si elle modifie aussi l’article 1592 du Code civil propre au droit de la vente. Ce sont ici la simplification des cessions et apports de fonds de commerce (I), tout comme de la location gérance qui seront étudiées (II).
I. Simplifier la cession et l’apport de fonds de commerce
D’une valeur financière considérable, le fonds de commerce peut évidemment être vendu ou apporté en société. Cependant, la réalisation de ces opérations supposait le respect de conditions spéciales imposées par la loi aux article L. 141-1 et suivants du Code de commerce. Ces conditions venaient protéger les créanciers du commerçant, mais aussi le commerçant lui-même et son acquéreur. Pourtant, ce formalisme a été allégé puisque le législateur a décidé d’abroger l’article L. 141-1 du Code de commerce.
Ainsi, dans le cadre d’une cession et d’un apport de fonds de commerce, le vendeur n’a plus à énoncer dans l’acte :
- Le nom du précédent vendeur, la date et la nature de son acte d’acquisition et le prix de cette acquisition pour les éléments incorporels, les marchandises et le matériel ;
- L’état des privilèges et nantissements grevant le fonds ;
- Le chiffre d’affaires qu’il a réalisé durant les trois exercices comptables précédant celui de la vente, ce nombre étant réduit à la durée de la possession du fonds si elle a été inférieure à trois ans ;
- Les résultats d’exploitation réalisés pendant le même temps ;
- Le bail, sa date, sa durée, le nom et l’adresse du bailleur et du cédant, s’il y a lieu.
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2019, en cas d’omission de l’une de ces mentions (la liste législative est limitative, Cass. Com., 7 juin 1974) dans l’acte de cession ou d’apport, le vendeur ou l’apporteur encourait, non une réduction du prix, mais la nullité de l’opération prononcée par le juge à la demande de l’acquéreur, dans un délai préfix d’un an à compter de la date à laquelle l’opération avait été conclue. Cette nullité était facultative pour le juge qui devait apprécier si l’omission des énonciations avait pu vicier le consentement de l’acquéreur (Cass. Com. 30 oct. 1951 n° 62- 11.295) et lui causer un préjudice. Dès lors, il était possible que le juge n’accorde que des dommages-intérêts et qu’il ne prononce pas la nullité de l’opération. Comme le souligne le rapport législatif : « La jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette toute nullité systématique de l’acte de cession en cas d’omission d’une mention obligatoire, ce qui relativise la portée concrète de l’obligation énoncée à l’article 141-1 du code de commerce, en dépit d’un contentieux important devant les juridictions consulaires ».
Aussi, supprimer ces mentions obligatoires paraît opportun puisque cela limitera les contentieux et simplifiera la cession des fonds de commerce qui sont les seuls fonds pour lesquels le législateur a prévu un formalisme particulier. En outre, cette politique d’allégement avait déjà débuté puisque L’article 129 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II », avait déjà supprimé l’obligation de respecter l’article L. 141-1 du Code de commerce dans l’hypothèse où l’apport du fonds de commerce était fait à une société détenue en totalité par le vendeur du fonds.
Enfin, l’acquéreur ne se retrouve pas dénué de toute protection et c’est avant tout ce qui justifie cette proposition d’abrogation. En effet, le droit spécial, à l’article L. 141-2 du Code de commerce, impose une information préalable de l’acquéreur quant à la consistance du fonds. Au jour de la cession, le vendeur et l’acquéreur visent un document présentant les chiffres d’affaires mensuels réalisés entre la clôture du dernier exercice comptable et le mois précédant celui de la vente. Dans la même veine, le droit commun des contrats garantit la transparence qui doit entourer la cession ou l’apport puisque l’article 1112-1 du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, reconnaît législativement un devoir précontractuel d’information. Or, on peut imaginer que la très grande majorité des informations visées par l’actuel article L. 141-1 du Code de commerce entrent dans le champ d’application de ce devoir précontractuel d’information dont l’irrespect peut entraîner une action en nullité fondée sur les vices du consentement ou une action en responsabilité civile.
De même, à titre probatoire, la présence d’un contrat écrit de cession apparaitra inévitable. Aussi, nul doute que les parties prendront soin de mentionner les informations qui auront été échangées afin de sécuriser l’opération.
Dès lors, la protection des parties semble donc maintenue et les opérations d’apport et de cession de fonds de commerce simplifiées, tout comme l’est aussi la mise en location gérance du fonds.
II. Faciliter la mise en location-gérance du fonds de commerce
La location-gérance est un contrat par lequel le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce (ou artisanal) en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l’exploite alors à ses risques et périls. Ce contrat est régi par les articles L. 144-1 et suivants du Code de commerce. La conclusion de ce type de contrat permet notamment de conserver la propriété d’un fonds de commerce sans avoir à l’exploiter soi-même. Toutefois, jusqu’à la loi du 19 juillet 2019, l’article L. 144-3 du Code de commerce imposait une condition importante qui réduisait la possibilité de recourir à la location-gérance : « Les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l’établissement artisanal mis en gérance ». À défaut, le contrat conclu était nul, de nullité absolue (Cass. civ. 3e, 22 mars 2018, n° 17-15.830).
Selon le rapport législatif, « répondant à un objectif de simplification, la suppression de ce délai minimal obligatoire vise à fluidifier la mise en location-gérance de fonds de commerce, qui peut constituer une étape utile dans le transfert à moyen terme de la propriété commerciale ». Il convient d’ajouter que le législateur avait déjà prévu différentes hypothèses qui permettaient de déroger à l’obligation de l’article L. 144-3 du Code de commerce (Art. L. 144-5 et L. 144-8 C. com.). Il était également possible de saisir, sur requête, le président du TGI compétent qui pouvait, par ordonnance, réduire ou supprimer ce délai. Par conséquent, l’obligation de respecter l’article L. 144-3 du Code de commerce n’était déjà absolument pas systématique et elle s’avérait, en prime, peu nécessaire. Dès lors, la réforme devrait faciliter grandement la mise en location-gérance des fonds sans pour autant apparaître risquée. En effet, cette condition d’exploitation ne permet guère, en pratique, de s’assurer de la viabilité du fonds mis en location gérance. En outre, la Loi Sapin II avait déjà modifié l’article L. 144-7 du Code de commerce qui prévoyait que le bailleur et le locataire-gérant étaient solidairement responsables des dettes contractées à l’occasion de l’exploitation du fonds pendant un délai de six mois à compter des formalités de publicité imposées par la loi au moment de la mise en place de la location gérance. A la suite de cette loi, cette solidarité était très réduite puisqu’elle ne jouait que jusqu’à la publication du contrat de location-gérance et elle ne supposait donc pas particulièrement, à notre sens, que le bailleur ait personnellement exploité le fonds pendant au moins 2 ans.