Loi du 19 juillet 2019 de simplification du droit des sociétés : modification de l’article 1592 du Code civil

6 décembre 2019

Fruit d’un long processus législatif digne d’un véritable parcours du combattant, la loi du 19 juillet 2019 vient simplifier, clarifier et actualiser le droit des sociétés français. Elle modifie plusieurs pans du droit des sociétés français, mais elle touche aussi le droit de la vente en modifiant l’article 1592 du Code civil qui permet la désignation d’un tiers estimateur afin de fixer le prix de vente.

Si la loi PACTE du 22 mai 2019 occupe tous les esprits, il ne s’agit pas de la seule réforme récente en droit des sociétés. Dans les tiroirs depuis 2014, la proposition dite « Soilihi », du nom du sénateur qui en est à l’origine, a mis des années avant d’être examinée. C’est enfin chose faite et différents pans du droit des sociétés français sont ainsi modifiés par cette Loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés.

Historique du processus législatif. Monsieur le sénateur Thani Mohamed Soilihi, rapporteur en 2013 du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, avait alors précisé que plusieurs suggestions complémentaires de simplification ou de clarification pouvaient être envisagées en droit des sociétés. Il avait en ce sens déposé au Sénat, le 4 aout 2014, une proposition de loi, riche de 60 articles, tendant à la clarification et à l’actualisation du Code de commerce. En raison du calendrier parlementaire, il fallut attendre le 1er juin 2016 pour que la commission des lois du Sénat se saisisse de la proposition et établisse un texte en vue de son examen en séance. Toutefois, ce n’est que le 8 mars 2018 que le texte fut adopté par le Sénat et transmis à l’Assemblée nationale. Mais son parcours chaotique était encore loin d’être terminé ! En effet, le 27 mars 2019, l’Assemblée nationale adopta un texte modifié, revenant notamment sur la rédaction proposée par les sénateurs de l’article 1844 du Code civil. Dans un souci d’accélération du processus, le Sénat adopta enfin, le 10 juillet 2019, sans modification et en deuxième lecture donc, la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale en première lecture. Au cœur de l’été 2019, la loi a finalement été promulguée par le Président de la République et publiée au journal officiel du 20 juillet 2019. Aussi, ces dispositions sont-elles applicables depuis le 21 juillet 2019

Une loi de droit des sociétés. Il est évident que, de manière générale, la loi du 19 juillet 2019 obéit à son intitulé et que ses 37 articles, organisés en 4 chapitres, permettent donc bien une simplification, une clarification et une actualisation du droit des sociétés français. Technique et bien moins médiatisée que la récente loi PACTE, cette réforme porte essentiellement sur le droit des sociétés, même si elle allège également quelques règles applicables aux opérations portant sur les fonds de commerce et si elle modifie aussi l’article 1592 du Code civil propre au droit de la vente. Elle vise ainsi pêle-mêle, les clauses statutaires d’exclusion d’un associé en SAS, la prorogation de la durée des sociétés, le remplacement d’un dirigeant sous tutelle ou encore la prise en compte de l’abstention lors des votes en assemblée générale de SA. C’est ici la modification de l’article 1592 du Code civil qui sera étudiée.

Un article du droit de la vente utilisé en droit des sociétés. Certes, il s’agit d’une disposition issue du droit du contrat de vente, mais ce mécanisme de détermination du prix par un expert est régulièrement utilisé en droit des sociétés dans le cadre des cessions de titres.  Sa modification par une loi propre au droit des sociétés n’est donc guère surprenante. Cet article dispose en effet que le prix de vente peut être laissé à l’estimation d’un tiers et que, « si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente ». À la suite de la réforme, l’article 1592 du Code civil est complété par les termes suivants : « sauf estimation par un autre tiers ».

Une modification législative pour éviter la fin du processus de vente. Cette modification a pour but de ne pas mettre fin au processus de vente lorsque le tiers estimateur est dans l’impossibilité ou refuse de fixer un prix. Elle permet également de rapprocher ce mécanisme de détermination du prix de celui de l’article 1843-4 du Code civil. L’articulation entre ces deux textes est en effet souvent problématique dans la mesure où le premier donne simplement la faculté aux parties de recourir à un tiers pour fixer le prix, tandis que le second est d’ordre public, de sorte que l’expertise qu’il instaure s’impose aux parties dès lors que les conditions d’application du texte sont remplies. Toutefois, en dehors des cas où l’article 1843-4 du Code civil s’applique impérativement, le choix entre ce mécanisme de fixation du prix et celui de l’article 1592 du Code civil est discrétionnaire, tout en pouvant avoir d’importantes conséquences. La réforme permet un rapprochement indéniable des deux mécanismes, sans pour autant les rendre similaires. Elle paraît même insuffisante car elle ne permet guère une véritable simplification. Néanmoins, elle a le mérite d’autoriser des aménagements contractuels permettant de faire aboutir l’expertise du droit de la vente. En ce sens, elle rapproche ce dispositif de celui de l’article 1843-4 du Code civil. En effet, l’expert désigné en vertu de ce dernier texte a l’obligation de procéder à cette évaluation. Les termes de l’article 1843-4 du Code civil sont impératifs sur ce point et ne prévoient aucune exception contrairement à ce qui est prévu pour l’expert désigné en application de l’article 1592 du Code civil (ce dernier peut refuser la mission ou y mettre un terme si elle s’avère impossible).

Une réforme imparfaite. Vertueuse, la modification apportée par le législateur apparaît en réalité imparfaite. Elle reconnaît et valide des pratiques bien connues que la jurisprudence avait depuis longtemps entérinées (V. par ex. : Cass. com. 26 juin 1990 n° 88-14.444). En effet, pour permettre à la vente d’aboutir, les parties stipulaient déjà, le plus souvent, des mécanismes de remplacement du tiers estimateur (par ex. une désignation judiciaire à la demande de la partie la plus diligente). La réforme ne fait donc qu’autoriser implicitement ces pratiques facultatives bien connues et entérinées par les juges.

Dans sa version nouvelle, l’article 1592 énonce toujours qu’il n’y a point de vente si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, « sauf estimation par un autre tiers ». Finalement la modification législative n’anticipe aucune solution concrète de sauvetage de l’opération de vente en cas de défaut d’accord sur l’identité d’un nouvel estimateur ou, sous ce couvert, de déni de poursuite de la vente de la part de l’un des contractants. En effet, pour qu’il y ait estimation par un autre tiers, il faut nécessairement que les parties s’entendent sur la désignation de ce dernier ou qu’elles aient anticipé un mécanisme de désignation (par ex. judiciaire) de celui-ci. Peut-être aurait-il alors été plus judicieux de prévoir dans la loi, expressément, un mécanisme de désignation judiciaire à défaut d’accord entre les parties sur un nouvel estimateur en cas de non-réalisation de sa mission par le premier nommé.

L’article 1843-4 du Code civil aurait pu servir de modèle afin d’éviter aux parties d’anticiper contractuellement un refus ou une impossibilité d’évaluation par le tiers estimateur. Cette disposition prévoit bien, dans sa version applicable au 1er janvier 2020, une désignation judiciaire de l’expert « à défaut d’accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible ». A contrario, on peut estimer qu’une telle formule impérative ne se justifierait pas dans le contexte purement contractuel du droit de la vente. Il est vrai que le recours imposé à un juge pour débloquer la cession serait contraire à la rédaction des textes actuels qui n’obligent aucunement les parties à obtenir un accord sur le prix. Dès lors, on peut se demander s’il était bien nécessaire de modifier l’article 1592 du Code civil…