Loi pacte – la nouvelle qualité de société à mission

17 décembre 2019

Les sociétés commerciales peuvent désormais, sous conditions, revendiquer une qualité nouvelle : la société à mission. Cette nouvelle qualité devrait permettre aux sociétés volontaires d’affirmer publiquement de manière plus marquée leur volonté de s’inscrire dans une logique durable et sociétale.

Adoptée définitivement le 11 avril 2019 par l’Assemblée Nationale et publiée au Journal officiel le 23 mai 2019, la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises : Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises : voir le lien) comporte de nombreuses mesures touchant les entreprises qui sont donc, pour certaines, déjà entrées en vigueur. Riche de 221 articles avant son passage devant le Conseil constitutionnel, cette réforme d’envergure ambitionne, selon le Ministre de l’Économie et des Finances M. Bruno Lemaire, de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois. L’une des mesures de la loi déjà en vigueur consiste en la modification de l’article 1835 du Code civil. Cette disposition légale fait partie du socle du droit commun des sociétés et sa modification va, par conséquent, toucher l’ensemble des sociétés françaises (civiles et commerciales) et l’ensemble des formes sociales. Aux termes de la nouvelle rédaction de cet article, « Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de cette activité ». Toutefois, les sociétés commerciales qui se seront dotées d’une raison d’être statutaire ont désormais, également, la possibilité de faire état de la qualité de société à mission.

Une nouveauté d’application volontaire. Si la prise en compte de l’intérêt social élargi s’impose désormais à toutes les sociétés dans le cadre de leur gestion, elles peuvent donc aussi volontairement décider de respecter une raison d’être, statutaire ou non, afin de démontrer publiquement leur volonté de s’inscrire dans une véritable démarche RSE à plus long terme. En sus, à son article 176, la loi PACTE offre une troisième voie aux sociétés, toujours de manière volontaire et facultative :   faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions en sont respectées. Ces conditions et cette nouvelle qualité sont énoncées par le Code de commerce qui se voit complété par trois nouveaux articles (Art. L. 210-10 à 12 C. com.). Dès lors, les seules sociétés commerciales pourront être des sociétés à mission et utiliser cette qualité sur leurs différents documents. De surcroit, il convient de relever l’emploi du terme « qualité » par le législateur, ce qui démontre qu’il ne s’agit aucunement d’une nouvelle forme sociale, mais plutôt d’une sorte de label ou de catégorie. Cette nouvelle qualité devrait permettre aux sociétés volontaires d’affirmer publiquement de manière plus marquée leur volonté de s’inscrire dans une logique durable et sociétale.

L’assureur MAIF a ainsi annoncé, par l’intermédiaire d’un communiqué de presse en date du 3 juin 2019, qu’il entendait devenir une société à mission, ce qu’il justifie en mettant en avant les raisons qui pourraient, à terme, pousser d’autres sociétés à suivre cette voie. « Face à des enjeux de fracture sociale, d’urgence climatique et de rupture digitale qui s’amplifient, la MAIF prend ses responsabilités en tant qu’assureur militant et choisit de réaffirmer et renforcer son engagement pour un impact positif sur la société. Elle est ainsi la première grande entreprise à s’engager sur la voie de l’entreprise à mission, comme le propose désormais la loi PACTE ». Doit-on en déduire qu’il s’agit d’une simple opération de communication ou bien d’une véritable démarche sociétale d’ampleur ? Une approche des conditions à respecter pour revendiquer cette qualité permet d’y voir plus clair.

Différentes conditions à respecter. Pour faire état de la qualité de société à mission, le nouvel article L. 210-10 du Code de commerce impose de respecter cinq conditions.

  • Il faut tout d’abord qu’une clause des statuts stipule une raison d’être en application de l’article 1835 du Code civil et, en sus, que les statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité.
  • De plus, et c’est là toute la différence avec le simple fait de se doter d’une raison d’être, il faut mentionner dans les statuts les modalités de suivi de l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux choisis au titre de mission.
  • Pour ce faire, le législateur impose la création d’un organe d’autocontrôle, dénommé le comité de mission, comportant au moins un salarié et chargé exclusivement du suivi de l’exécution des missions définies par la société dans ses statuts. Si la société emploie au cours de l’exercice moins de cinquante salariés permanents, elle peut prévoir dans ses statuts qu’un référent de mission se substitue au comité de mission (Art. L. 210-12 C. com.). En outre, la loi ajoute que ce comité présente un rapport annuel joint au rapport de gestion et qu’il procède à toute vérification qu’il juge opportune et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l’exécution de la mission.
  • Toutefois, il n’y a pas qu’un autocontrôle puisque la bonne exécution des missions choisies par la société est aussi vérifiée par un organisme tiers indépendant rendant également un avis annuel joint au rapport de gestion (le législateur ajoute que la vérification sera effectuée selon des modalités et une publicité définies par décret en Conseil d’État).
  • Enfin, la société qui désirera se prévaloir de cette qualité de société à mission devra déclarer sa mission au greffier du tribunal de commerce qui publiera cette qualité au registre du commerce et des sociétés.

Une procédure judiciaire spéciale. L’irrespect de l’une de ces conditions, notamment lorsque l’avis de l’organisme tiers indépendant conclut qu’un ou plusieurs des objectifs déterminés dans les statuts n’est pas rempli, pourra faire perdre la qualité de société à mission. Pour s’en assurer, le législateur a prévu une action judiciaire spécifique. En effet, le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal compétent statuant en référé aux fins d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la mention “ société à mission ” de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société (Art. L. 210-11 C. com.).

Une nouvelle qualité véritablement contraignante ? Il semble donc évident que le législateur entend faire assurer le respect des conditions qui permettent l’utilisation de la qualité de société à mission. Toutefois, on peut regretter que, comme pour la raison d’être, le législateur n’ait pas prévu de sanctions particulières contre les dirigeants ne respectant pas les objectifs définis comme entrant dans la mission de la société. Il s’agit là de l’une des faiblesses majeures propres à cette innovation qui permet cependant d’attester publiquement de la nouvelle place accordée à certaines sociétés dans la Société. Pour garantir l’efficience de ce dispositif inédit, il conviendra de s’assurer de la réalité du respect des missions sociétales déterminées par la personne morale.

Une qualité critiquée. Cependant, l’opportunité de la création de cette qualité de société à mission devra être éprouvée par la pratique. Comme l’a souligné Me Masset, en créant la catégorie de société à mission, « la France serait ainsi à la recherche d’une troisième voie : un mi-chemin entre le monde capitaliste au sens strict et le secteur non lucratif » (E. Masset, « Vers la société à mission ?», Rev. Sociétés, 2018, p. 635). Ce faisant, le législateur reprend la recommandation n° 12 du rapport ministériel Senard-Notat sur l’entreprise objet d’intérêt collectif et répond à des attentes des acteurs économiques. Il s’inspire aussi de la Benefit Corporation introduite en avril 2010 au Maryland, ou encore de la Public Benefit Corporation créée en 2015 au Delaware, en érigeant finalement un nouveau modèle de gestion des sociétés en droit français. Aux termes de l’étude d’impact du projet loi PACTE, « une entreprise à mission peut être définie comme une entreprise constituée par des associés qui stipulent, dans leur contrat de société, une mission sociale, scientifique ou environnementale qu’ils assignent à leur société en plus de leur objectif de profit ». La seule raison d’être ne pouvait-elle pas alors suffire ? 

De même, hormis pouvoir bénéficier de la qualité de société à mission, il ne nous semble pas que ce nouveau dispositif soit bien plus contraignant pour une société que si elle adopte une raison d’être statutaire. Certes, son activité sera beaucoup plus contrôlée, mais cela ne devrait guère plus entraver sa gestion.

Enfin, puisque le législateur a créé un cadre juridique au secteur de l’économie sociale et solidaire (Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire) et imposé la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux de l’activité d’une société (Art. 1833 al. 2 nouveau du Code civil issu de la loi PACTE), était-il vraiment nécessaire de créer cette qualité de société à mission susceptible de présenter des risques de redondance ou d’illisibilité du paysage juridique ? Aucune réponse objective ne semble pouvoir encore être apportée à cette interrogation d’autant que rien n’interdisait déjà, avant la loi PACTE, une société française de bénéficier du label américain B-Lab corp ou encore, comme la société de vente par correspondance la CAMIF, de se définir « une mission d’entreprise à impact positif ».

Dès lors, seul l’avenir nous dira si la qualité de société à mission, qui permet d’ancrer de façon publique et plus importante la démarche RSE, repense véritablement la place des sociétés dans la Société et, comme l’indique l’intitulé même de la loi PACTE, transforme les entreprises.