Un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une précision intéressante : la dissolution anticipée d’une société ne peut, en principe, être analysée comme une révocation abusive d’un dirigeant donnant lieu à indemnisation.
Consulter l’arrêt Cour de cassation, chambre commerciale, 29 janvier 2020, n° 18-17131
Les faits :
Après la dissolution anticipée d’une EURL décidée par son associé unique pour des raisons financières, son ancien co-gérant l’assigne en justice. Il estime faire l’objet d’une révocation abusive de son mandat de gérant et désire obtenir des dommages-intérêts.
La problématique :
La dissolution d’une société met fin à cette dernière pour l’avenir. En vertu de l’article 1844-8 du Code civil, elle entraîne la liquidation de la société. Les fonctions des dirigeants doivent alors nécessairement cesser. Il s’agit là de l’une des conséquences de la décision de dissoudre la société. Dès lors, le dirigeant automatiquement évincé peut-il contester les circonstances de sa perte de fonction afin d’obtenir des dommages-intérêts ?
La solution :
Pour la Cour de cassation, le demandeur « n’avait pas été révoqué de ses fonctions de gérant, le terme de celles-ci étant la conséquence légale de la dissolution ». Par conséquent, il ne pouvait critiquer les circonstances de sa révocation pour obtenir des dommages-intérêts.
L’analyse :
Un dirigeant révoqué dispose de plusieurs fondements pour obtenir des dommages-intérêts :
- Absence de juste motif lorsque le législateur (V. par ex. L. 223-25 C. com. pour le gérant de SARL) ou les statuts imposent de caractériser ce dernier.
- Révocation abusive sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. Ce sont les circonstances entourant la révocation qui permettent d’apprécier son caractère abusif. Tel est le cas des révocations accompagnées de propos susceptibles de nuire à sa réputation ou des révocations intempestives accompagnées de procédés vexatoires. De plus, pour ne pas être qualifiée d’abusive, la révocation doit également être loyale.
Par principe, la dissolution d’une société ne peut être assimilée à une révocation bien que pour le dirigeant elle aboutisse au même effet : la perte de ses fonctions. La décision de la Cour de cassation est donc parfaitement logique.
Est-ce à dire que la dissolution peut être sciemment utilisée pour mettre fin aux fonctions d’un dirigeant sans l’indemniser ? Non, il nous semble que la dissolution ne doit pas être utilisée frauduleusement, c’est à dire dans l’unique dessein de révoquer le dirigeant sans suivre les principes inhérents à une révocation ; autrement dit en fraude des droits du dirigeant. En pratique, cette fraude risque d’ailleurs d’être difficile à caractériser.
Dans l’affaire étudiée, la dissolution était motivée par des considérations économiques et le départ du dirigeant n’était donc que l’une des nombreuses conséquences de la disparition pour l’avenir de la société. Comme l’avaient déjà relevé les juges du fond, la société avait un résultat négatif et l’associé unique était pessimiste quant à la rentabilité de la société. Comme en attestaient des courriers postérieurs à la dissolution, les qualités et l’engagement professionnel du co-gérant n’étaient pas en cause.