Fusion-absorption et effets du contrat d’assurance de l’absorbante

fusion-absorption

18 janvier 2021

Dans un arrêt en date du 26 novembre 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation précise que l’assurance de la société absorbante, souscrite avant la fusion, n’a pas vocation, sauf clause contraire, à garantir le paiement de la dette de responsabilité civile de la société absorbée.

Consulter l’arrêt Cass. civ. 3e, 26 nov. 2020, n° 19-17824

Le lendemain du retentissant revirement de jurisprudence opéré par la chambre criminelle de la Cour de cassation en matière de transmission de la responsabilité pénale de l’absorbée vers l’absorbante (lire ici notre analyse), la Haute juridiction livra une autre décision inédite et intéressante en matière de fusion-absorption.

En l‘espèce, un couple avait commandé et fait installer une pompe à chaleur par une société qui fut ensuite absorbée par une autre. A la suite de différentes pannes, le couple assigna en indemnisation de leurs préjudices ou en remboursement du prix payé, la société absorbée ayant réalisé les travaux, le liquidateur judiciaire de la société absorbante et l’assureur de cette dernière.

La Cour d’appel retint la responsabilité décennale du fournisseur en considérant que la prestation commandée était impropre à l’usage auquel elle était destinée et ajouta que l’assureur de l’absorbante se substituerait au fournisseur pour le paiement des sommes dues au couple.

Un pourvoi en cassation fut formé par l’assureur de l’absorbante, ce qui permet à la Cour de cassation de revenir sur les effets de la fusion-absorption et sur l’étendue de la couverture du contrat d’assurance de l’absorbante (II).

I. Les effets de la fusion en matière de transmission de dette civile

Classiquement, les opérations de fusion entraînent la transmission de l’ensemble des éléments d’actif et de passif à la nouvelle société créée ou à la société absorbante (Art. L. 236-3 I C. com.). La société absorbante acquiert à ce titre, par exemple, la qualité de partie à l’instance engagée par la société qu’elle a absorbée.

En l’espèce, il était question de la transmission ou non de la créance d’indemnisation au titre de la garantie décennale. La réponse de la Cour de cassation, rendue au visa de l’article L. 236-3 C. com., est sans surprise : « en cas de fusion entre deux sociétés par absorption de l’une par l’autre, la dette de responsabilité de la société absorbée est transmise de plein droit à la société absorbante ».

Ainsi, la créance de la société absorbée pour des faits commis avant la fusion est donc transmise automatiquement à la société absorbante. Toutefois, comme les faits en attestent, ce transfert n’est pas toujours heureux pour les créanciers de l’absorbée lorsque l’absorbante se trouve, par la suite, en liquidation. Aussi, le législateur offre-t-il la possibilité aux créanciers de l’absorbée de s’opposer à la fusion dans les 30 jours qui suivent la publicité du projet de fusion (Art. L 236-14 C. com.). Ce ne fut pas réalisé en l’espèce, peut-être car le couple créancier imagina l’absorbante plus solvable qu’elle ne l’était en réalité ou tout simplement car il n’eut pas connaissance de l’opération.

Pour autant, une fois la fusion réalisée et donc la dette de responsabilité civile transmise, la question de sa couverture par l’assureur de l’absorbante demeure.

II. Etendue de la couverture de l’assurance de l’absorbante

Au visa, cette fois, de l’article 1134 du Code civil (devenu article 1103 à la suite de la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance du 10 février 2016), la Cour de cassation précise pour la première fois que, sauf aménagement contraire, l’assurance de l’absorbante conclue avant la fusion ne couvre pas les dettes de responsabilité civile de l’absorbée. Il s’agit finalement, au nom de la force obligatoire des contrats, d’une remise en cause des effets de la transmission universelle de patrimoine qui découle de la fusion.

« L’assurance de responsabilité de la société absorbante, souscrite avant la fusion, n’a pas vocation à garantir le paiement d’une telle dette, dès lors que le contrat d’assurance couvre, sauf stipulation contraire, la responsabilité de la seule société assurée, unique bénéficiaire, à l’exclusion de toute autre, même absorbée ensuite par l’assurée, de la garantie accordée par l‘assureur en fonction de son appréciation du risque ».

Une telle solution ne surprend guère puisque si le contrat d’assurance est conclu avant la fusion, il est impossible pour les parties de prévoir le risque d’une éventuelle et future transmission des dettes de responsabilité de l’absorbée. En l’espèce, une clause avait même semblé anticiper cette situation en stipulant que le contrat avait pour objet de garantir la société absorbante en dehors de toutes autres sociétés filiales ou concessionnaires.

La solution prétorienne signifie donc que la transmission universelle du patrimoine qui découle d’une fusion-absorption est sans effet sur l’obligation de couverture de l’assureur de l’absorbante lorsque le contrat d’assurance a été conclu avant la fusion. L’équilibre initial du contrat d’assurance paraît ainsi conservé.

A défaut de clause contraire, cette analyse semble économiquement la plus convenable puisque l’assureur de l’absorbante ne pouvait, lors de la conclusion du contrat, ni prévoir ni mesurer les risques inhérents à la transmission de la dette de l’absorbée par l’effet de la fusion.

Afin d’anticiper les risques, l’analyse de la police d’assurance de l’absorbante s’avère donc judicieuse avant toute opération de fusion. De même, la rédaction d’une garantie de passif adaptée est recommandée.