Dans un arrêt publié au Bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation énonce que la réduction à zéro du capital d’une société par actions n’est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d’une augmentation effective de son capital amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant minimum légal ou statutaire.
Cass. com., 4 janvier 2023, n°21-10.609 et n°21-12.515, Publié au Bulletin
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Faits et procédure
L’arrêt concerne une SAS X dont le capital social était réparti entre trois actionnaires : M. A., son président, détenant 50% du capital, M. B détenant 25% et M. C les 25% restant.
En 2015, une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société décida de la réduction à zéro du capital social puis de l’augmentation de ce capital par création d’actions nouvelles avec maintien du droit préférentiel de souscription aux actionnaires. Autrement dit, il s’agissait d’opérer un coup d’accordéon pour apurer les pertes de la société. Seul M. A, l’actionnaire majoritaire et président de la société, souscrivit à cette augmentation du capital ayant pour résultat de transformer la SAS en SASU et d’évincer du capital social Messieurs B et C.
Contestant la régularité de cette opération, M. B a saisi, en référé, le président d’un tribunal de commerce, lequel a, par ordonnance du 11 septembre 2015, suspendu la quatrième résolution de l’assemblée générale extraordinaire, constatant que M. A. avait souscrit à l’intégralité de l’augmentation de capital et était devenu l’actionnaire unique de la SAS, ainsi que les cinquième et sixième résolutions, constatant le nouveau capital social de la société et modifiant en conséquence ses statuts. Les résolutions propres à la réduction du capital social à zéro et au principe de son augmentation ne furent en revanche pas suspendues.
Quelques semaines après la décision rendue en référé, l’associé unique de la SAS réalisa un apport partiel d’actif de la SAS au profit d’une autre société détenue à 60% par la SAS et à 40% par M. D.
- B a dès lors agi en nullité de l’apport partiel d’actif. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 29 décembre 2020, a déclaré l’action en nullité de l’apport partiel d’actif irrecevable car M. B avait perdu sa qualité d’associé de la SAS avant l’introduction de son action en raison du coup d’accordéon. Selon l’arrêt, en refusant de suspendre les résolutions de l’assemblée relatives à la réduction et à l’augmentation de capital ainsi qu’au maintien des droits préférentiels de souscription, le juge des référés n’avait pas entendu revenir sur l’opération et remettre les associés dans l’état où ils se trouvaient avant celle-ci. Autrement dit, au jour de sa demande, M. B. n’était plus actionnaire de la SAS et n’avait donc pas qualité pour agir en nullité.
Dans sa décision du 4 janvier 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation est alors invitée à se prononcer sur la recevabilité de l’action en nullité exercée par M. B.
Solution de la Cour de cassation
Dans son arrêt du 4 janvier 2023, rendu au visa des articles L. 210-2 et L. 224-2 du Code de commerce, la chambre commerciale de la Cour de cassation avance que « la réduction à zéro du capital d’une société par actions n’est licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d’une augmentation effective de son capital amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant minimum légal ou statutaire ».
Pour la Haute Juridiction, en matière de coup d’accordéon, la réduction du capital social est donc indissociable de l’augmentation qui doit la suivre. C’est ce qui était souligné par les demandeurs qui démontraient qu’un coup d’accordéon prenant la forme d’une réduction du capital social à un montant nul suivi d’une augmentation immédiate du capital constitue une opération unique et indivisible, la réduction du capital à zéro ne pouvant produire effet qu’à la condition que les associés procèdent à une augmentation concomitante et effective du capital social.
Contrairement à l’analyse de la Cour d’appel de Paris, il est donc nécessaire d’appréhender ces opérations comme un tout ou encore un ensemble unique puisque l’une ne va pas sans l’autre. Aussi et par opposition à la première ordonnance en référé, il ne pouvait donc y avoir suspension de l’augmentation de capital social sans que cela n’ait des conséquences sur la réduction réalisée préalablement. La Cour de cassation le démontre très logiquement en soulignant que les juges du fond auraient « dû déduire que la résolution décidant de la réduction à zéro du capital de la société ne pouvait, sauf à priver cette société de tout capital, légalement produire effet, peu important que la suspension de cette résolution n’ait pas été ordonnée en référé, de sorte que M. B avait conservé, à la date à laquelle il avait introduit son action, la qualité d’actionnaire de la société X ».
On ne peut que conforter cette analyse qui reconnaît la qualité d’associé à M. B et rend sa demande recevable. Comme le caractérise la Cour de cassation, en raisonnant différemment, on priverait la SAS de tout capital social en raison de la seule suspension de l’augmentation du capital prononcée en référé. In fine la société n’aurait alors plus d’associés.
Cependant, au-delà du réalisme dont fait preuve la haute juridiction, les fondements utilisés interrogent.
Études des fondements utilisés
Comme précisé plus haut, la décision est rendue au visa de deux articles du Code de commerce qui peuvent laisser perplexe.
Tout d’abord, l’article L. 210-2 du Code de commerce qui dispose que :
« La forme, la durée qui ne peut excéder quatre-vingt-dix-neuf ans, la dénomination sociale, le siège social, l’objet social et le montant du capital social sont déterminés par les statuts de la société ».
La référence à cet article tiré du droit commun des sociétés commerciales pourrait influer sur la portée de l’arrêt qui s’étendrait potentiellement bien au-delà des seules SAS à l’ensemble des sociétés commerciales. En ce sens, la décision vise littéralement l’ensemble des sociétés par actions et non pas uniquement les SAS. Somme toute, il est effectivement nécessaire que toute société dispose d’un capital social dont le montant est déterminé par ses statuts. Ainsi, une réduction du capital social à zéro non suivie d’une augmentation du capital social serait illicite. C’est du moins l’argument pragmatique que semble retenir la Haute juridiction dans son arrêt du 04 janvier 2023. Il faut pourtant relever qu’aucune sanction expresse n’est prévue et que la lettre de l’article L. 235-1 du Code de commerce devrait écarter la nullité.
Toutefois, en se fondant sur l’article L. 224-2 du Code de commerce, la Cour de cassation donne une base légale à son raisonnement et conforte son analyse. Elle énonce que la réduction du capital social à zéro ne pouvait « légalement produire effet » sans concomitamment une augmentation de capital effective. Ainsi, c’est à l’appui de ce texte que la réduction du capital social à zéro ne peut avoir d’effet si elle n’est pas immédiatement suivie d’une augmentation de capital. En clair, la SAS doit nécessairement avoir un capital social conforme au minimum fixé statutairement, ce qui est partiellement conforté par l’autre disposition légale utilisée par la Haute juridiction : l’article L. 224-2 du Code de commerce.
Ce texte dispose quant à lui que : « le capital social doit être de 37 000 € au moins.
La réduction du capital social à un montant inférieur ne peut être décidée que sous la condition suspensive d’une augmentation de capital destinée à amener celui-ci à un montant au moins égal au montant prévu à l’alinéa précédent, à moins que la société ne se transforme en société d’une autre forme. En cas d’inobservation des dispositions du présent alinéa, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société. Cette dissolution ne peut être prononcée si, au jour où le tribunal statue sur le fond, la régularisation a eu lieu.
Par dérogation au premier alinéa, le capital des sociétés de rédacteurs de presse est de 300 euros au moins lorsqu’elles sont constituées sous la forme de société anonyme ».
Avant toute chose, il convient de s’étonner car l’article L. 227-1 du Code de commerce écarte expressément l’application de ce texte en SAS. C’est bien l’ensemble de l’article qui ne devrait donc pas s’appliquer au cas d’espèce et pas uniquement son alinéa premier qui impose un capital social minimum dans les sociétés par actions.
Comme la référence à l’article L. 210-2 du Code de commerce le démontre, le législateur n’a pas prévu de capital social minimum dans les SAS. C’est alors aux associés de librement en déterminer le montant dans les statuts sans, doit-on le comprendre, que ce capital social ne soit égal à zéro. Cela ressort d’ailleurs parfaitement du §11 de l’arrêt qui précise que l’augmentation effective du capital doit amener celui-ci à un montant au moins égal au montant minimum légal ou statutaire. Cette dernière précision visant expressément le montant statutaire du capital donne une assise à la portée de la décision qui viserait donc bien l’ensemble des sociétés par actions voire toutes les sociétés commerciales. Cependant, un doute subsiste lorsqu’il s’agit d’étendre la solution à toutes les sociétés commerciales. D’une part et comme déjà exprimé, l’arrêt concerne une SAS et mentionne, plus largement, uniquement les sociétés par actions. D’autre part, si les associés d’une société ont tous effectué un apport en industrie, la solution présentée paraît difficilement justifiée notamment dans une SNC où la responsabilité des associés est illimitée mettant ainsi à mal le rôle de garantie joué par le capital social.
De surcroît, s’appuyer sur l’article L. 224-2 du Code de commerce n’est pas « innocent » au regard de l’alinéa deux de ce texte. Aux termes de ce dernier, une réduction du capital social à un montant inférieur à 37 000 € ne peut être décidée que sous la condition suspensive d’une augmentation de capital destinée à amener celui-ci au moins au niveau de ce montant. Par extension, la Cour de cassation estime que, dans une SAS, la réduction du capital n’est là aussi possible que sous la condition suspensive d’une augmentation permettant de conférer à la société un capital conforme aux stipulations statuaires (puisque la loi n’impose de montant minimum dans cette forme sociale).
On comprend dès lors mieux la référence à cet article L. 224-2 qui laisse tout de même dubitatif car en appliquant ce texte à la lettre, si la réduction du capital à zéro n’est pas suivie d’une augmentation pour « régulariser » la situation, l’opération pourrait demeurer valable. En revanche, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société. La Cour de cassation s’inspire donc du texte dans une forme sociale où il n’est pas applicable mais sans finalement réellement l’appliquer puisqu’elle semble plutôt imposer à titre de validité de l’opération l’existence effective d’un capital social dont le montant doit être déterminé par les statuts.
On en vient alors à se demander si dans une SAS aussi, tout intéressé pourra demander la dissolution de la société si la réduction du capital à zéro n’est pas suivie d’une augmentation du capital effective ? Il s’agirait alors d’appliquer totalement l’alinéa 2 du texte et de ne pas s’en tenir uniquement à la condition suspensive de l’augmentation de capital. Un tel forçage pourrait s’avérer judicieux afin d’inciter les actionnaires à réaliser un coup d’accordéon sans s’arrêter à la seule réduction du capital social. La Cour n’étant pas interrogée sur ce point, elle se garde bien d’y répondre.