Les droits d’enregistrement applicables à une cession de droits sociaux sont liquidés selon la nature juridique de ces droits déterminée à la date du fait générateur des droits d’enregistrement, lequel correspond à la date du transfert de propriété, peu important qu’à la date de la soumission de l’acte de cession à la formalité de l’enregistrement, la transformation dont la société a fait l’objet antérieurement n’ait pas été publiée au RCS.
Cass. com. 18 déc. 2024, n°23-21.435 publié au Bulletin. Arrêt à consulter ici
FAITS ET ENJEUX :
La SARL TDA International fut transformée en SAS avec effet immédiat à la suite d’un vote en assemblée générale extraordinaire des associés en date du 24 juillet 2012. Aux termes de l’arrêt d’appel, « le même jour a été ouvert au nom de la société TDA International un registre des mouvements de titres ». Le lendemain de l’assemblée générale, comme constaté dans le nouveau registre des mouvements de titres, la cession de l’intégralité de la société TDA International à la société Cegid était réalisée. La déclaration de cession de droits sociaux fut ensuite déposée le 3 août 2012 auprès du SIE entrainant le paiement, par la société Cegid, de droits d’enregistrement pour un montant de 37 303 euros.
Dans un second temps, le 7 août 2012, le procès-verbal de l’assemblée ayant décidé de la transformation était enregistré auprès du SIE puis publié dans un journal d’annonces légales le 1er septembre 2012. Par la suite, ce même procès-verbal était déposé au greffe du tribunal de commerce de Lyon le 25 septembre 2012 et, enfin, faisait l’objet d’une publication au BODACC le 25 octobre de la même année.
En décembre 2015, l’Administration a adressé une proposition de rectification contradictoire à la société Cegid. Elle considérait que la transformation en SAS lui était inopposable à la date de la cession. Autrement dit, la cession des titres devait être soumise aux droits d’enregistrement applicables aux cessions de parts de SARL et non d’actions de SAS. Elle demanda alors le paiement de droits supplémentaire à hauteur de 75 455 euros et d’intérêts de retard pour 10 564 euros. Il n’était donc plus possible pour la Cegid de bénéficier du taux de droit d’enregistrement applicable aux cessions d’actions octroyé par l’habile transformation réalisée avant cession.
En effet, pour une vente de parts sociales réalisée avant le 1er août 2012, l’opération était soumise à un droit d’enregistrement dont le taux était fixé comme suit : 3 % pour la fraction d’assiette inférieure à 200 000 €, 0,5 % pour la fraction comprise entre 200 000 euros et 500 000 000 euros et 0,25 % pour la fraction excédant 500 000 000 d’euros.
En droit positif, en vertu de l’article 726 I 1 bis du CGI, le taux est désormais de 3 % avec application, sur la valeur de chaque part sociale, d’un abattement égal au rapport entre la somme de 23 000 euros et le nombre total de parts sociales de la société. À l’inverse, pour les cessions d’actions, le taux est de 0,1% (CGI, art. 727 I 1°).
PROCEDURE :
On l’aura compris, il n’est pas question dans l’arrêt de s’interroger sur la licéité d’une transformation avant cession. Sur ce point, la jurisprudence est claire depuis plusieurs années (V. par ex. : Cass. com., 9 févr. 1999, n° 97-10.907). Si en l’espèce, l’opportunité économique de procéder à une transformation de la SARL en SAS préalablement à la cession apparaissait évidente, la problématique était donc ailleurs.
Ainsi, après rejet de sa réclamation, la société Cegid a-t-elle assigné l’Administration devant le Tribunal judiciaire de Lyon pour obtenir la décharge des droits d’enregistrement pour la somme de 86.019€. La juridiction de première instance fit droit à sa demande et le Directeur général des finances publiques a dès lors interjeté appel. Dans un arrêt en date du 6 juillet 2023, la Cour d’appel de Lyon lui donna raison à travers une décision qui étonnait et invitait les praticiens à la plus grande vigilance en matière de transformation avant cession. (En ce sens, voir ici notre commentaire de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon)
En effet, après avoir relevé que la transformation de la société n’avait pas été publiée lors de la cession des titres à la société CEGID, la Cour d’appel de Lyon avait retenu que l’inscription sur le registre des mouvements de titres ne rendait pas la transformation opposable à l’Administration fiscale. Il était précisé dans l’arrêt que la déclaration de cession des droits sociaux du 3 août 2012 ne permettait pas à l’Administration de connaître la nouvelle forme de la société et que les actes sujets à mention au RCS ne peuvent être opposés à l’administration fiscale que s’ils ont été publiés, de sorte que l’administration n’avait eu connaissance de la forme nouvelle de la société qu’au moment de la publication du procès-verbal d’assemblée décidant sa transformation le 7 août 2012.
SOLUTION DE LA COUR DE CASSATION :
Dans son arrêt publié au Bulletin en date du 18 décembre 2024, la Cour de cassation casse opportunément l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon.
Au visa de l’article 726 I 1° du CGI (dans sa version applicable au litige), il est précisé que les droits d’enregistrement applicables à une cession de droits sociaux sont liquidés selon la nature juridique de ces droits déterminée à la date du fait générateur des droits d’enregistrement, lequel correspond à la date du transfert de propriété, peu important qu’à la date de la soumission de l’acte de cession à la formalité de l’enregistrement, la transformation dont la société a fait l’objet antérieurement n’ait pas été publiée au RCS.
La décision est logique et va fluidifier le déroulement des transformations suivies d’une cession de titres. Elle permet de tenir compte de la volonté des parties (procéder à une transformation avant cession) comme de la réalité (la transformation a bien été réalisée avant la cession). S’il n’est bien entendu pas question de remettre en cause les formalités de publicité à effectuer lors d’une transformation, la solution permet de donner vie à celle-ci à l’égard de l’Administration et en matière de droits d’enregistrement dès la cession – soit, aux termes de l’arrêt, la date du transfert de propriété des titres – sans attendre la publication de l’opération.
Tout au plus peut-on être surpris que la Cour de cassation vise seulement un article du CGI qui ne permet guère de trouver les arguments justifiant l’heureuse solution retenue. Il faut imaginer que ce texte ne visant pas les formalités de publicité, il peut sembler logique de ne pas les exiger en matière de droits d’enregistrement afin de rendre opposable la transformation à l’Administration.
D’autres pistes auraient toutefois pu être exploitées : l’article R. 123-66 du Code de commerce édicte un délai d’un mois pour réaliser les formalités de publicité et il semble donc logique de ne pas exiger la réalisation immédiate des formalités de publicité pour tenir compte de la transformation en matière de droits d’enregistrement.
Surtout, l’article L. 123-9 du Code de commerce alinéa 3 aurait également pu être mobilisé. Ce texte précise que les tiers comme les administrations qui avaient personnellement connaissance des faits et actes non publiés ne peuvent se prévaloir de l’absence de publication. Le Conseil d’État a d’ailleurs eu l’occasion de le rappeler dans différentes affaires en énonçant par exemple « qu’il résulte de ces dispositions que les faits ou actes qui doivent être mentionnés au registre du commerce et des sociétés ou déposés en annexe à ce registre sont opposables aux administrations qui en ont eu connaissance, alors même que les faits ou actes en cause n’auraient pas fait l’objet de la formalité correspondante » (Pour un changement de la date de clôture de l’exercice d’une société : CE 3° et 8° ch., 24 juillet 2019, n° 416243).
Qu’à cela ne tienne, le principe retenu est le bon : en matière de droits d’enregistrement, la transformation avant cession est opposable à l’Administration avant même sa publication au RCS et il convient seulement de s’en tenir à la nature juridique des titres au jour du transfert de propriété !
Article rédigé par Quentin Nemoz Rajot