Renonciation tacite au droit de revendiquer la qualité d’associé

2 juillet 2025

La renonciation à revendiquer la qualité d’associé par un époux commun en biens est parfois problématique. L’arrêt, publié au Bulletin, rendu le 12 mars 2025 par la chambre commerciale de la Cour de cassation permet de mieux comprendre les circonstances qui permettent d’établir une telle renonciation tacite.

 Cass. com., 12 mars 2025, n° 23-22.372 (à consulter ici).

L’articulation entre le droit des sociétés et le droit des régimes matrimoniaux n’est pas toujours aisée comme le démontre de nombreux contentieux. Les enjeux financiers sont parfois importants tout comme les conséquences sur le devenir de la société et son fonctionnement. Un accompagnement s’impose pour éviter des situations complexes à l’image de celle ayant donné lieu à la décision commentée.

L’arrêt, publié au Bulletin, rendu le 12 mars 2025 par la chambre commerciale de la Cour de cassation constitue l’épilogue d’une longue saga judiciaire. Il vient surtout clôturer, en grande partie, les débats liés à la renonciation tacite du droit de revendiquer la qualité d’associé par un conjoint commun en biens en vertu de l’article 1832-2 du Code civil. Attention, ce texte ne s’applique qu’aux parts sociales et non pas aux actions. Les principes qu’il édicte sont donc limités à certaines formes sociales comme en atteste son dernier alinéa : « Les dispositions du présent article ne sont applicables que dans les sociétés dont les parts ne sont pas négociables et seulement jusqu’à la dissolution de la communauté ».

I. Principes du droit de revendiquer la qualité d’associé

Pour des époux communs en bien, l’article 1832-2 du Code civil pose un principe clair : en cas d’apport d’un bien commun ou d’acquisition de parts sociales avec des deniers communs effectués par un seul des époux, « La qualité d’associé est reconnue à celui des époux qui fait l’apport ou réalise l’acquisition ».

Cependant, l’époux non apporteur ou acquéreur peut (c’est une simple faculté), en vertu du même texte, revendiquer la qualité d’associé à hauteur de la moitié des parts souscrites ou acquises sans que l’exercice de son droit ne soit enserré dans un délai dès lors que la communauté n’est pas dissoute. Cette limitation temporelle invite, parfois, l’époux d’un associé à revendiquer la qualité d’associé lorsqu’une procédure de divorce est initiée – donc des années après la souscription ou l’acquisition initiale -. On comprend dès lors aisément les dangers que cela peut engendrer dans la société susceptible de devenir le théâtre des conflits personnels du couple.

Cette revendication de la qualité d’associé par le conjoint de l’associé commun en biens peut ainsi être perçue comme une intrusion malvenue au sein de la société et il est rigoureusement conseillé d’anticiper voire de régler cette question dès le départ afin d’écarter une possible insécurité juridique.

En effet, idéalement, en cas d’apport de biens communs ou d’achat de parts sociales au moyen de ces mêmes biens, l’intervention du conjoint à l’acte est vivement recommandée. Cela lui permet de reconnaître plusieurs situations :

  • qu’il a été informé de l’apport ou de l’acquisition
  • de donner, le cas échéant, son consentement à l’apport d’un immeuble ou d’un fonds de commerce dépendant de la communauté en application de l’article 1424 du Code civil
  • le conjoint peut, dans le même temps, revendiquer à son profit la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises.
  • A l’inverse, il peut renoncer définitivement (voire temporairement car rien ne semble l’interdire non plus) à son droit à revendication et ainsi attester de la qualité d’associé attribuée exclusivement à l’apporteur (Cass. com., 12 janv. 1993 n°90-21.126). Bien entendu, il est vivement recommandé de procéder par écrit afin d’établir la preuve de cette renonciation aisément.

 

II. Une possible renonciation tacite du droit de revendiquer la qualité d’associé

Quand les choses n’ont pas été aussi bien « ficelées », se pose cependant la question d’une renonciation tacite de ce droit de revendiquer, pour moitié, la qualité d’associé. Dans l’hypothèse « classique » d’une procédure de divorce au cours de laquelle la revendication est réalisée, il s’agirait d’une parade efficace. C’est ce que démontre l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 12 mars 2025 par la chambre commerciale de la Haute juridiction.

En l’espèce, M. [N] et Mme [B] étaient mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts (sans contrat de mariage). Le 13 juin 2007, M. [N], à l’appui de l’article 1832-2 du Code civil, notifia à la SARL Transports [N], dont son épouse était la gérante, son intention d’être personnellement associé à hauteur de la moitié des parts sociales correspondant à l’apport en numéraire que cette dernière avait jadis réalisé. Invoquant le refus de Mme [B] de lui communiquer les comptes de la société Transports [N], M. [N] l’assigna, ainsi que la société Transports [N], aux fins de voir constater qu’il avait la qualité d’associé depuis le 13 juin 2007 et d’obtenir la communication de certains documents sociaux.

Le marathon judiciaire pouvait débuter… En effet, cassant un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 29 aout 2019 qui retenait qu’une renonciation ne pouvait être qu’expresse et non équivoque, la chambre commerciale de la Cour de cassation retint que « la renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer ». Il revenait alors à la cour d’appel de renvoi d’apprécier si, en l’espèce, M. [N] avait renoncé tacitement à son droit de revendiquer la qualité d’associé en application de l’article 1832-2 du Code civil (Cass. com. 21 sept. 2022, n°19-26.203).

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 14 sept. 2023, n° 22/15275) estima alors qu’il n’y avait pas eu de renonciation tacite au droit de revendiquer la qualité d’associé. Un nouveau pourvoi en cassation fut ainsi formé ce qui conduit, de nouveau, la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans l’arrêt du 12 mars 2025, a clarifié la notion de renonciation tacite au droit de revendiquer la qualité d’associé. Ce faisant, elle confirme l’analyse de la Cour d’appel de renvoi et met définitivement fin au contentieux.

Elle confirme ainsi que la « renonciation peut être tacite et résulter d’un comportement qui est, sans équivoque, incompatible avec le maintien du droit du conjoint de se voir reconnaître la qualité d’associé ».

L’hypothèse d’une renonciation tacite n’est donc écartée mais ce sont surtout les éléments qui permettent de caractériser cette dernière qui constitue l’apport de l’arrêt. Au demeurant, comme Renaud Mortier, il faut estimer que le terme de renonciation implicite serait plus adapté (R. Mortier, note ss ; cass. com. 12 mars 2025, Droit des sociétés n° 6, Juin 2025, comm. 62). Cette fois, la Cour précise que la renonciation tacite doit résulter d’un comportement sans équivoque tout en ajoutant que ce comportement doit être incompatible avec le maintien du droit du conjoint de se voir reconnaître la qualité d’associé. Il s’agirait donc des deux éléments à caractériser pour caractériser une renonciation tacite à partir d’éléments factuels. Comme on pouvait l’imaginer, ce n’est ni l’écoulement du temps ni l’inertie de l’époux non associé qui peuvent permettre d’établir une telle renonciation. La renonciation tacite ne se présume pas et doit donc être prouvée ce qui devrait la rendre exceptionnelle. Il en va finalement de la protection des droits que l’article 1832-2 du Code civil accorde au conjoint de l’associé. Une solution inverse rendrait finalement

Qui plus est, l’arrêt est éclairant en reprenant les circonstances factuelles relevées par la Cour d’appel aixoise afin d’écarter la renonciation tacite et de faire droit à la revendication valablement exercée par le conjoint non associé. Il permet de souligner que cette reconnaissance – qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond – devrait être exceptionnelle. Il est ainsi souligné que « le fait, pour M. [N] et Mme [B], d’avoir constitué, de manière concomitante, deux sociétés distinctes dont chaque époux était associé à concurrence de 50 %, sans que l’autre n’ait de participation, et la gouvernance de ces sociétés, est insuffisant à démontrer une renonciation sans équivoque, à la qualité d’associé, de chacun des époux au sein de la société constituée par son conjoint ».

Cependant, une brèche semble ouverte afin de pouvoir établir une renonciation tacite puisque la Cour relève, dans le même temps, l’absence d’un accord familial quant à la création de structures indépendants. A contrario, un tel accord permettrait donc d’établir une renonciation tacite. Cependant, cet accord qui, certes caractériserait la renonciation, est-il véritablement tacite ? On peut en douter…

Enfin, la Cour de cassation relève « l’absence de toute clause d’agrément prévue aux statuts de la société Transports, susceptible de faire obstacle à la revendication de la qualité d’associé ». Cet élément paraît toutefois curieux pour ne pas dire inopérant. Il ne devrait, selon nous, guère permettre d’établir une renonciation tacite. En effet, la mise en place d’un agrément ne relève pas de la volonté du conjoint non associé puisqu’il est imposé par la loi ou les statuts.

Etablir la preuve d’une renonciation tacite au droit de revendiquer la qualité d’associé devrait donc être particulièrement difficile. Il est recommandé de procéder par écrit de manière la plus explicite possible et le plus tôt possible pour éviter un contentieux intempestif et qui plus est fastidieux sur le plan probatoire.

Par Quentin Némoz-Rajot