Dans une décision du 5 mars 2021, le Conseil constitutionnel affirme la conformité à la Constitution des modalités légales de calcul de l’indemnité d’éviction prévues, en matière de baux commerciaux, à l’article L. 145-14 du Code de commerce.
Voir la Décision du Conseil constitutionnel n° 2020-887 QPC du 5 mars 2021
Comme l’énonce l’alinéa 1er de l’article L145-14 du Code de commerce, un bailleur peut parfaitement refuser de renouveler un bail commercial. Il doit alors, sauf motif légitime, payer une indemnité d’éviction au preneur. Cette indemnité est destinée à compenser le préjudice subi par le locataire à la suite du non-renouvellement de son bail.
C’est dans un litige relatif à une telle indemnité que le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation (Cass. Civ. 3e, 10 décembre 2020 n°20-40059) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Pour la société requérante, les modalités légales de détermination de la clause, énoncées à l’alinéa 2 de l’article L. 145-14 du Code de commerce, pourraient entraîner le paiement d’un montant disproportionné. Il en résulterait tant une atteinte au droit de propriété du bailleur qu’à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre. La disposition critiquée engendrerait aussi une double différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi.
Précisément, la QPC transmise était la suivante : « L’article L. 145-14 du code de commerce est-il conforme à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, précisément au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à la liberté contractuelle garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à la liberté d’entreprendre protégée par l’article 4 du Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, au principe d’égalité garanti par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, et respecte-t-il la compétence réservée à la loi par la Constitution de 1958 ? »
Sans grande surprise, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution les modalités de calcul de l’indemnité d’éviction fixées par l’article L. 145-14 alinéa 2. Ce texte n’est pas entaché d’incompétence négative. Il ne méconnaît pas non plus la liberté contractuelle ou la liberté d’entreprendre, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. L’existence et les modalités de calcul de l’indemnité d’éviction sont donc nettement affirmées, confortant ainsi le particularisme des baux commerciaux lors d’un refus de renouvellement par le bailleur.
Le texte critiqué était le suivant : « Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ».
Le Conseil constitutionnel évite tout coup de théâtre et ne remet pas en cause les modalités de détermination de l‘indemnité d’éviction. Il rappelle l’objectif d’intérêt général inhérent à l’octroi d’une indemnité d’éviction qui vise à permettre la continuité de l’activité du preneur tout en confortant la viabilité de son entreprise. On comprend dès lors que le montant de l’indemnité d’éviction ne puisse être plafonné et qu’il corresponde à la valeur du droit au bail. Enfin, la décision souligne également l’absence d’atteinte disproportionnée au droit de propriété puisque le bailleur demeure libre de disposer de son bien.
Concernant une éventuelle méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, le Conseil se montre à nouveau pédagogue afin de rejeter l’argumentation de la société requérante. Il avance « qu’en prévoyant que la valeur du fonds de commerce comprise dans l’indemnité d’éviction doit être déterminée en fonction des usages de la profession, les dispositions contestées se bornent à préciser les modalités d’évaluation du fonds de commerce et n’instituent aucune différence de traitement ».
Il n’y aurait donc pas de différence de traitement injustifiée entre les bailleurs de baux commerciaux selon la nature de l’activité qui est exercée dans leur immeuble. De même, le Conseil prend en considération la spécificité du fonds de commerce pour justifier l’existence de l’indemnité d’éviction que l’on ne retrouve pas dans les baux non commerciaux.
Dès lors, « la différence de traitement qui résulte de ce que le législateur n’impose que pour un bail commercial le paiement d’une indemnité en cas de refus de renouvellement du bail, qui est en rapport avec l’objet de la loi, ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi ».
La propriété commerciale ressort donc grandie de la décision du Conseil constitutionnel qui conforte les droits du preneur et justifie les atteintes limitées apportées au droit de propriété du bailleur.