Lors des assemblées générales de SA, le vote abstentionniste a désormais une véritable valeur qui lui est propre alors qu’il était auparavant assimilé à un vote négatif. Les règles de décompte des voix sont en conséquence modifiées.
L’une des mesures phares de la loi de simplification du droit des sociétés du 19 juillet 2019 réside en la modification des articles L. 225-96 et L. 225-98 du Code de commerce qui fixent les règles applicables à l’exercice du droit de vote lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de SA. La réforme ne revient pas directement sur les règles de quorum et de majorité qui demeurent inchangées, mais elle vient sensiblement modifier les règles de décompte des voix.
Pour rappel :
AGO : majorité simple des actionnaires présents ou représentés. Quorum : sur première convocation, les actionnaires présents ou représentés doivent posséder au moins le cinquième des actions ayant le droit de vote.
AGE : majorité : 2/3 des voix des associés présents ou représentés. Quorum : les actionnaires présents ou représentés doivent posséder au moins, sur première convocation, le quart et, sur deuxième convocation, le cinquième des actions ayant le droit de vote.
I. Les votes abstentionnistes consacrés par la loi en SA
Traditionnellement, les votes abstentionnistes étaient assimilés à des votes négatifs. Aussi, l’abstention n’avait elle aucune force particulière et marquait-elle une véritable opposition. Lorsque des actionnaires présents ou représentés à une assemblée générale s’abstenaient de voter, leurs actions étaient prises en compte dans le calcul du quorum. De plus, la majorité requise pour l’adoption des résolutions ordinaires et extraordinaires était calculée en fonction des voix des actionnaires présents ou représentés à l’assemblée. Propre au vote par correspondance, l’article L. 225-107 du Code de commerce exprimait ainsi que : « les formulaires ne donnant aucun sens de vote ou exprimant une abstention sont considérés comme des votes négatifs ».
Comme le relevait un rapport sénatorial sur la proposition de loi de simplification du droit des sociétés (Rapport n° 657 de M. André REICHARDT, fait au nom de la commission des lois, déposé le 1er juin 2016) : « Sur le fond, la règle actuelle de comptabilisation des abstentions peut induire en erreur les actionnaires sur le sens de leur vote ou bien favoriser des comportements masquant une opposition derrière une abstention, au détriment de la clarté des débats au sein des assemblées générales. Une prise en compte des abstentions en dehors des votes exprimés permettrait de traduire plus fidèlement la position des actionnaires qui font le choix de l’abstention, quelle qu’en soit la motivation, sans pour autant inciter des actionnaires ou investisseurs s’opposant à une résolution de voter contre en faisant le choix de l’abstention ». En effet, l’approbation des résolutions était conditionnée à une adhésion pleine et entière des actionnaires puisque les votes favorables devaient l’emporter tant sur les votes « contre » que sur les « abstentions ».
A la suite de la loi de simplification du droit des sociétés, l’équilibre bien connu est donc entièrement refondu pour les votes en SA (offrant des titres au public ou non), mais aussi par renvoi en SCA pour les décisions adoptées par les associés commanditaires (art. L. 226-1 C. com.). En revanche, ces nouvelles règles sont inapplicables dans les autres formes sociales dont les SAS (Art. L. 227-1 C. com. al. 3).
Aussi, les abstentions ne sont-elles plus assimilées à un vote négatif ; elles sont désormais exclues du décompte des voix (art. L. 225-96 et L. 225-98 C. com. nouveau). Par conséquent, la majorité requise pour l’adoption des décisions des assemblées générales ordinaires et extraordinaires des SA est maintenant déterminée en fonction des seules voix exprimées par les actionnaires présents ou représentés. C’est ce que précise d’ailleurs le nouvel article L. 225-107 du Code de commerce (« Les formulaires ne donnant aucun sens de vote ou exprimant une abstention ne sont pas considérés comme des votes exprimés »). Les voix exprimées ne comprennent donc pas celles attachées aux actions pour lesquelles l’actionnaire n’a pas pris part au vote, s’est abstenu ou encore a voté blanc ou nul. Un actionnaire a ainsi la possibilité de démontrer sa volonté de ne pas se prononcer lors d’un vote sans que sa position ne soit assimilée à un vote négatif et donc à une opposition frontale. La nuance introduite par le législateur devrait rendre plus claire certaines prises de décision, comme le réclamait l’AMF depuis de nombreuses années en désirant offrir aux actionnaires une « troisième voie d’expression » (AMF, Rapport sur les assemblées générales d’actionnaires de sociétés cotées).
II. Conséquences des nouvelles règles de décompte des voix
Mathématiquement la réforme a des conséquences importantes au niveau de l’adoption d’une décision. Comme le révélait dès 2012 l’AMF dans son rapport précité : « si une telle réforme pourrait avoir pour conséquence, en abaissant mathématiquement le seuil de la majorité, de faciliter le vote des résolutions, elle ne conduit pas à inverser la situation actuelle mais à la rééquilibrer dans la mesure où elle n’accorde pas une prime aux votes « pour » ».
Afin d’identifier plus aisément l’impact de ces nouvelles règles, un exemple chiffré paraît utile :
Dans une SA, pour laquelle il y aurait 200 voix pour les actionnaires présents ou représentées afin de se prononcer et le décompte suivant : 130 voix pour, 50 voix contre, 20 abstentions.
Sous l’ancien régime :
AGE : la majorité est fixée à 2/3 des voix des associés présents ou représentés donc en l’espèce 134 voix. Avec 130 voix la décision ne serait donc pas adoptée.
AGO : Il faut une majorité simple donc 101 voix. La décision serait donc adoptée avec 130 voix.
Nouveau régime :
AGE : la majorité est fixée à 2/3 des voix exprimées donc ici il faudrait 120 voix. Avec 130 voix favorable la décision serait donc adoptée ce qui n’était pas le cas sous l’ancien droit.
AGO : L’assemblée statue à la majorité des voix exprimées par les actionnaires présents ou représentés. La majorité en l’espèce est donc de 91 voix. Avec 130 voix pour la décision serait donc adoptée.
III. Application dans le temps des nouvelles règles de décompte
Attention, les nouvelles règles de décompte ne sont pas d’application immédiate de manière systématique.
En effet, aux termes de l’article 16 II de la loi de simplification : « Le présent article est applicable à compter des assemblées générales réunies pour statuer sur le premier exercice clos après la promulgation de la présente loi ».
Aussi, les nouvelles règles s’appliquent donc lors des assemblées générales ordinaires annuelles réunies depuis le 20 juillet 2019 et lors de toutes les assemblées une fois que l’AGOA a été réunie. En revanche, tant que cette AGOA n’a pas eu lieu à compter du 20 juillet 2019, l’application des nouvelles règles aux assemblées générales n’est pas possible. Il y a donc une survie des anciennes dispositions pendant quelques mois, c’est-à-dire tant que l’AGOA ne s’est pas tenue.
Il convient donc de se montrer attentif à la stricte application dans le temps des nouvelles règles de décompte car l’article L. 225-251 al. 1er du Code de commerce énonce la nullité des assemblées générales ne respectant pas les règles des articles L. 225-96 et L. 225-98 du Code commerce.