La loi n°2021-1774 dite « Rixain » du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle a été publiée au Journal officiel du 26 décembre 2021. Elle prévoit différentes mesures qui s’intéressent au quotidien des femmes et d’autres qui ambitionnent d’assurer plus d’égalité entre les femmes et les hommes dans les grandes écoles, dans les entreprises mais aussi dans l’entrepreneuriat. Nous vous proposons un focus sur les nouvelles règles mises en place en matière de direction des sociétés et de représentation hommes-femmes dans les grandes entreprises.
La loi Rixain crée de nouvelles règles afin de renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes au sein des grandes entreprises. C’est une nouvelle étape de franchie dix ans après la loi « Copé‑Zimmermann » relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle (Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011). Pour mieux comprendre les apports du nouveau texte (II), il est nécessaire de revenir sur les avancées nées de son prédécesseur (II).
1. Représentation hommes-femmes dans les grandes entreprises : les avancées de la loi Coppé-Zimmerman
La loi Coppé-Zimmerman a instauré une obligation de rechercher une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les organes de direction des SA et SCA (A), tout en imposant une certaine mixité dans les organes de direction des plus grandes sociétés françaises (B).
La recherche d’une représentation équilibrée femme-homme affirmée
La loi de 2011 a mis en place une politique générale de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des organes de direction des SA (Article L. 225-17 C. com. pour les conseils d’administration, L. 225-69 C. com. pour les conseils de surveillance et L. 225-58 C. com. pour les directoires) et des SCA (Art. L 226-4 C. com). Ainsi, ces organes doivent-ils être composés en recherchant une représentation équilibrée des femmes et des hommes. Cependant l’irrespect de cette recherche d’équilibre ne fait l’objet d’aucune sanction spécifique. L’avancée serait donc à relativiser et avant tout symbolique.
Toutefois, dans certaines sociétés, cette même loi de 2011 a organisé une féminisation à marche forcée des organes de direction à travers la mise en œuvre, par paliers, de quotas au sein des conseils d’administration et de surveillance. Ces règles ont été d’une grande efficacité et demeurent encore applicables. Elles ont favorisé une arrivée massive de femmes au sein des organes de direction des grandes sociétés françaises. Ces derniers ont été sensiblement renouvelés pour respecter les préconisations légales et donc assurer une représentation équilibrée de chaque sexe. Selon les chiffres divulgués par le Rapport Rixain remis le 5 mai 2021 à l’Assemblée nationale, le pourcentage de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance est passé de 10 % en 2009 à 44,6 % en 2020 dans les entreprises du CAC 40. Il a atteint 45,3 % dans les entreprises du SBF 120. Comme le précise ledit rapport, « ces résultats font de la France la championne de l’Union européenne en matière de parité et la situent en deuxième place au niveau mondial, juste après l’Islande ».
Un équilibre imposé dans certaines sociétés
Les règles impératives propres à la représentation équilibrée des hommes et des femmes s’appliquent dans les conseils d’administration (Art. L225-18-1 C. com) et dans les conseils de surveillance (Art. L. 225-69-1, art. 226-4-1 C. com.) des plus grandes sociétés françaises. Ces sociétés de grandes tailles sont tant les sociétés anonymes que les sociétés en commandite par actions qui, pour le troisième exercice consécutif, emploient un nombre moyen d’au moins deux cent cinquante salariés permanents et présentent un montant net de chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros. En outre, le dispositif s’applique obligatoirement au sein de sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé (Art. L. 22-10-3 et L. 22-10-21 C. com.). Aussi les SAS, lorsqu’elles ont recours à un conseil d’administration ou de surveillance créé statutairement, ne sont donc pas soumises à ces quotas de représentativité.
L’entrée en vigueur de cette obligation de représentation équilibrée se fit progressivement et semble désormais bien assimilée par les grandes sociétés. Deux règles, semble-t-il non cumulatives, sont imposées aux sociétés entrant dans le champ d’application du dispositif : « la proportion des administrateurs de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % à l’issue de la plus prochaine assemblée générale ayant à statuer sur des nominations (…). Dans ces mêmes sociétés, lorsque le conseil d’administration est composé au plus de huit membres, l’écart entre le nombre des administrateurs de chaque sexe ne peut être supérieur à deux ».
Par ailleurs, pour assurer le respect de cette obligation de mixité, toute nomination ou toute désignation intervenue en violation de la règle et qui n’a pas pour effet de remédier à l’irrégularité de la composition du conseil est nulle. Dans la même veine, depuis l’entrée en vigueur de la loi PACTE du 22 mai 2019, la nullité de la nomination peut s’accompagner de celle des délibérations auxquelles a pris part le dirigeant irrégulièrement nommé. Enfin, cet irrespect conduit à la suspension du versement de toutes les rémunérations accordées aux dirigeants de l’organe concerné jusqu’à la régularisation de sa composition (Art. L. 225-45 et L. 225-83 C. com.). Cette régularisation entraînera ensuite le versement de l’arriéré des rémunérations depuis la suspension.
Désormais appliquées et bien entrées dans les mœurs, ces règles se voient confortées et accentuées par la nouvelle loi Rixain du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle. Ainsi son article 15 impose, à partir du 1er janvier 2027, une proportion d’administrateurs de chaque sexe d’au moins 40% dans les conseils d’administration des sociétés d’assurance mutuelle (Art. L. 322-26-2-5 C. des ass.). Surtout, un nouveau dispositif obligatoire de représentation équilibrée de chaque sexe plus général est mis en place.
2. Une obligation de représentation équilibrée hommes-femmes renforcée
L’article 14 de la loi Rixain en est surement le plus emblématique. Il impose la publication des écarts éventuels de représentation de chaque sexe parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes (A’) tout en instaurant des paliers progressifs pour garantir une répartition plus équilibrée par sexe entre ces mêmes personnes (B’).
La publication des écarts de représentation de chaque sexe parmi les équipes dirigeantes
Dans le but d’assurer une répartition équilibrée de chaque sexe parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes, le législateur a prévu plusieurs mesures codifiées aux articles L. 1142-11 et suivants du Code du travail. En effet, si la loi Coppé-Zimmerman a eu des effets significatifs, il a été constaté qu’elle n’avait pas engendré une mixité « suffisante » dans les comités exécutifs et de direction. Selon le rapport précité, « les femmes ne représentent que 22,4 % des membres des comités exécutifs et de direction des entreprises cotées ». Aussi, les mesures déjà existantes ont-elles été complétées afin d’assurer une plus grande mixité au sein des postes à responsabilité dans les grandes entreprises françaises.
Ce ne sont ainsi plus seulement certaines formes sociales qui sont visées par les nouvelles dispositions mais bien les plus grandes entreprises, à savoir celles qui, pour le troisième exercice consécutif, emploient au moins mille salariés. Il n’est donc plus question non plus de seuil de chiffre d’affaires ou de bilan.
Dans ces entreprises et à compter du 1er mars 2022, l’employeur devra publier chaque année sur son site internet (et à défaut de site internet les porter à la connaissance des salariés par tout moyen), les écarts éventuels de représentation entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants, d’une part, et les membres des instances dirigeantes, d’autre part. Il s’agit donc de deux nouveaux indicateurs instaurés sur le modèle de l’index de l’égalité professionnelle. Ils devraient permettre d’établir un état des lieux de la situation des femmes au sein des postes à forte responsabilité. Pour mieux saisir l’ampleur du nouveau dispositif, il est nécessaire de comprendre quelles sont les fonctions visées par le législateur. La focale est très large et ne se limite aucunement aux seuls comités exécutifs et de direction.
Pour les instances dirigeantes, c’est le nouvel article L. 23-12-1 du Code de commerce qui les définit comme « toute instance mise en place au sein de la société, par tout acte ou toute pratique sociétaire, aux fins d’assister régulièrement les organes chargés de la direction générale dans l’exercice de leurs missions ». Pour les cadres dirigeants, il est renvoyé à l’article L. 3111-2 du Code du travail selon lequel il s’agit des « cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».
Une publication de ces éventuels écarts sera également réalisée sur le site internet du ministère chargé du travail à compter du 1er mars 2023 et dans des conditions définies par décret à paraître. Enfin, ces écarts devront également figurer dans la base de données économiques, sociales et environnementales mise à la disposition du comité social et économique.
Toutefois, le législateur est allé encore plus loin en s’inspirant des quotas instaurés par pallier dans le cadre de la loi Coppé-Zimmerman.
La mise en place progressive de quotas de personnes de chaque sexe dans les équipes dirigeantes
Comme en son temps la loi de 2011, la loi Rixain prévoit la mise en place échelonnée dans le temps d’un quota de représentation de chaque sexe, cette fois dans les équipes dirigeantes des grandes entreprises. Ainsi, à compter du 1er mars 2026, la proportion de personnes de chaque sexe au sein des cadres dirigeants mais aussi des instances dirigeantes ne pourra être inférieure à 30 % dans les entreprises d’au moins mille salariés. A partir de cette même date, la négociation sur l’égalité professionnelle prévue au 2° de l’article L. 2242-1 du Code du travail portera également sur les mesures adéquates et pertinentes de correction si le quota n’est pas respecté. Cette nouvelle obligation de mixité devrait nettement accélérer la féminisation des équipes dirigeantes des entreprises visées d’autant qu’un mécanisme de sanctions financières a été créé pour rendre contraignant le nouveau dispositif à compter du 1er mars 2029.
Comme souligné par le Rapport Rixain, « dans l’optique d’une convergence avec les outils existants en termes d’égalité professionnelle, le dispositif reprend les sanctions prévues à l’article L. 1142-10 du code du travail concernant l’index de l’égalité professionnelle ». Toutefois, la sanction financière prévue par l’article L. 1142-12 du Code du travail ne sera pas immédiatement prononcée puisque l’entreprise prise à défaut disposera d’un délai de deux ans pour se mettre en conformité. Au bout d’un an, elle devra publier ses objectifs de progression et les mesures de correction retenues, selon des modalités définies par décret. A l’expiration de ce délai, si les résultats obtenus sont toujours en deçà du taux fixé, l’employeur se verra alors appliquer une pénalité financière d’un montant maximal de 1% de sa masse salariale. Cette sanction pécuniaire sera prononcée par l’autorité administrative qui prendra en compte la situation initiale de l’entreprise, les efforts constatés dans l’entreprise en matière de représentation des femmes et des hommes ainsi que les motifs de sa défaillance. L’idée sous-jacente est d’assurer une transition échelonnée dans le temps et « en douceur ». Pourtant, il est aisé d’imaginer les difficultés potentielles de recrutement que pourraient rencontrer certaines entreprises tout comme la complexité de renouveler leurs cadres salariés aussi rapidement que des dirigeants sociaux dont le mandat est par nature limité dans le temps (V. par ex. Art. L. 225-18 C. com. pour les administrateurs). Comme rappelé là encore par le rapport Rixain, « il ne s’agit, en aucun cas, de pénaliser les hommes ou les femmes aujourd’hui en poste mais bien de diversifier, à terme, les profils pour parvenir à une réelle mixité ».
Cependant, les efforts effectués devront être certains car la proportion de chaque sexe dans les instances dirigeantes et parmi les cadres dirigeants des grandes entreprises visées par le dispositif passera, à partir du 1er mars 2029, de 30 à 40%. Il apparaît donc nécessaire d’anticiper au plus vite ces futurs changements pour être en parfaite conformité avec la loi et pour ne pas nuire à l’image de marque de l’entreprise qui ne manquerait pas d’être affectée aux yeux du grand public. Gageons que, comme ce fut le cas pour l’application de la loi Coppé-Zimmerman, le résultat sera au rendez-vous et que les entreprises ressortiront grandies des effets de ces avancées paritaires ! (Voir en ce sens Etude FMI, J. D. Ostry, J. Alvarez, R. Espinoza, C. Papageorgiou, Economic Gains from Gender Inclusion: New Mechanisms, New Evidence du 08 ocotobre 2018)