Représentation d’une SAS par son directeur général à l’égard des tiers

Représentation d'une SAS

3 octobre 2022

Le directeur général d’une SAS peut être investi d’un pouvoir général de représentation de la société. Cependant, un arrêt récent rappelle que plusieurs règles doivent être respectées pour garantir l’efficacité des pouvoirs accordés statutairement au directeur général.

Le succès des sociétés par actions simplifiée n’est plus à démontrer. Parmi les points forts de cette forme sociale, l’organisation de la direction est régulièrement mise en avant. Toutefois, un arrêt de la Cour de cassation, rendu en date du 25 mai 2022 (consulter l’arrêt ici), est venu souligner les précautions à prendre lorsqu’il s’agit de comprendre l’étendue des pouvoirs d’un directeur général de SAS.

 

1. Rappel sur l’organisation de la direction d’une SAS

L’article L. 227-6 du Code de commerce est limpide en posant une obligation quant à la direction de la SAS : elle est impérativement représentée à l’égard des tiers par un et un seul président (personne physique ou personne morale) désigné dans les conditions prévues par les statuts. Autrement dit, ce ne sont pas nécessairement tous les associés qui décident qui sera président et encore moins à travers un vote en assemblée générale. Une fois valablement entré en fonction, le président de SAS est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l’objet social. Il en est donc le représentant légal !

Au-delà du président, les associés sont libres d’organiser comme ils l’entendent la direction de la SAS. Des organes, souvent collégiaux, peuvent ainsi être prévus par les statuts. Un directeur général (DG) et des directeurs généraux délégués (DGD) peuvent également être désignés. Il convient alors de déterminer l’étendue de leurs pouvoirs dans les statuts tout comme les modalités à suivre pour les désigner et les révoquer.

Pour le DG et les DGD, l’article L. 227-6 al. 3 C. com. apporte une précision de taille : « Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article ».

Aussi, faut-il comprendre qu’au-delà du président de SAS, seuls les dirigeants portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué peuvent être investis par les statuts du pouvoir de représenter la société ; les statuts ne peuvent donc pas valablement conférer ce pouvoir à un dirigeant portant un autre titre.

Toutefois, comme le souligne l’arrêt du 25 mai 2022, différentes règles doivent être respectées pour que le DG (ou les DGD) soit véritablement investi d’un pouvoir de représentation de la SAS à l’égard des tiers.

 

2. Les faits et les enjeux de l’arrêt du 25 mai 2022

L’arrêt rendu par la Haute juridiction en date du 25 mai 2022 souligne le particularisme propre à l’organisation de la direction de SAS et à la détermination des pouvoirs de ses dirigeants à l’égard des tiers.

En l’espèce, un juge des libertés et de la détention avait, sur le fondement de l’article 64 du code des douanes, autorisé des agents de l’administration des douanes à procéder à des visites avec saisies dans des locaux et dépendances susceptibles d’être occupés par la SAS X, afin de rechercher la preuve de l’infraction douanière d’importation sans déclaration de marchandises prohibées, que celle-ci aurait commise.

La SAS X a relevé appel de l’ordonnance d’autorisation et formé un recours contre le déroulement de la visite, effectuée le 1er septembre 2015. En effet, durant la visite, l’administration des douanes avait refusé de remettre une copie de l’ordonnance à M. Y, le directeur général de la SAS X. Ce dernier était le seul dirigeant de la société présent dans les locaux à cet instant. Or, en vertu de l’article 64 précité, l’administration des douanes doit remettre une copie de l’ordonnance autorisant une visite et des saisies douanières à l’occupant des locaux ou à son représentant lors de l’exécution de la mesure. Selon la SAS, M. Y, en sa qualité de DG, était bien son représentant et devait dès lors recevoir une copie de l’ordonnance par l’administration des douanes.

Le premier président de la Cour d’appel de Paris retint cette argumentation pour annuler la visite et les saisies au motif que l’administration des douanes ne pouvait pas refuser au directeur général de la SAS X la qualité de représentant de la société. Pour ce faire, l’ordonnance relève que M. Y figurait en qualité de directeur général de la SAS X sur l’extrait Kbis de la société et que cette fonction était susceptible de lui conférer la qualité de représentant de la société aux yeux de l’administration des douanes qui avait bien connaissance de l’extrait Kbis.

Pour autant, cette mention sur l’extrait kbis de la société s’avère insuffisante aux yeux des juges de la chambre commerciale de la Cour de cassation qui casse l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris. Ils relèvent en effet qu’il était nécessaire de rechercher si les statuts de la SAS X « prévoyaient qu’elle pouvait être représentée à l’égard des tiers par une personne ayant le titre de directeur général ».

 

3. Les conséquences de la décision

L’arrêt met en lumière une différence majeure entre les fonctions de président de SAS et celles de DG et DGD. Il permet de distinguer également entre informations statutaires et informations contenues dans le Kbis.

Il faut retenir de son analyse que la mention du directeur général sur le Kbis d’une SAS ne suffit pas toujours à prouver qu’il représente cette société et qu’il faut vérifier l’étendue de ses pouvoirs au sein des statuts. Pour autant cette solution est-elle justifiée ?

Le président d’une SAS tire ses pouvoirs de la loi qui lui confère automatiquement la qualité de représentant légal de la société à l’égard des tiers. A l’inverse, le DG de SAS ne devient représentant de la société à l’égard des tiers que si les statuts lui attribuent expressément cette qualité. Ce n’est donc pas systématique et il est nécessaire de se référer aux stipulations statutaires pour le vérifier. En ce sens, la solution retenue dans l’arrêt du 25 mai 2022 par la Haute juridiction ne surprend finalement pas. Elle réalise une interprétation littérale de l’article L. 227-6 du Code de commerce en rappelant que le simple fait d’être désigné directeur général d’une SAS ne permet pas d’être reconnu de plein droit représentant de la SAS à l’égard des tiers. Somme toute, la jurisprudence l’avait déjà démontré (V. par ex. : Cass. com., 3 juin 2008, n°07-14.457).

Pour autant, en reprenant le raisonnement de la SAS X, les mentions sur son Kbis de la présence et de l’identité d’un directeur général ne pouvaient-elles pas suffire pour qualifier M. Y de représentant de la société ?

Une nouvelle analyse littérale permet de répondre à la question en s’intéressant cette fois à l’article R. 123-54 du Code de commerce. Ce texte exige des sociétés qu’elles déclarent l’identité de certains de leurs dirigeants et notamment de leurs DG et DGD. Ainsi, c’est le titre de DG ou de DGD de SAS qui impose une déclaration au greffe et par suite une mention au Kbis. Ce n’est donc pas l’étendue des pouvoirs de ces dirigeants qui justifie la mention sur l’extrait Kbis. Bien au contraire, elle est librement fixée par les statuts. En d’autres termes, le seul titre de DG de SAS ne suffit pas pour déterminer si le dirigeant est véritablement investi statutairement du pouvoir de représenter la société.

Certes stricte, la solution retenue par la Cour de cassation n’est donc pas si surprenante. Elle voit en revanche son champ d’application limité. Si l’administration des douanes peut se fonder sur les stipulations statutaires et ne pas s’en tenir aux seules mentions du Kbis, c’est pour se « protéger » et dénier la qualité de représentant de la SAS X à son DG M. Y. Somme toute, l’arrêt donne la possibilité aux tiers à la société de se prévaloir de l’étendue réelle des pouvoirs du dirigeant prévue par les statuts, ce que le titre de DG tout comme l’extrait Kbis ne suffisent pas à établir.

Dans un sens inverse maintenant, Il faut souligner que les tiers à la société sont protégés puisqu’ils peuvent se prévaloir des engagements pris par un DG ou un DGD au nom et pour le compte de la SAS sans que les stipulations statutaires déterminant l’étendue de leurs pouvoirs ne leurs soient opposables. Dans un arrêt du 9 juillet 2013 (Cass. com. 09 juillet 2013, n°12-22627), la chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi précisé que l’article L. 227-6 al. 3 du Code de commerce doit être interprété à la lumière de la directive européenne sur les sociétés qui dispose que les limitations de pouvoirs des organes sociaux sont toujours inopposables aux tiers, même si elles sont publiées (Dir. 2017/1132 art. 9, 2).

Contrairement aux apparences, le recours aux titres de DG et de DGD au sein d’une SAS doit donc être réalisé avec précaution.

Par Quentin Némoz-Rajot