Révocation du directeur général d’une SAS : force obligatoire des statuts

Révocation du directeur général d’une SAS

10 novembre 2022

Aux termes d’un arrêt de la Cour de cassation publié au Bulletin, il est précisé qu’en matière de direction de SAS, les actes extra-statutaires peuvent compléter les statuts sans toutefois pouvoir y déroger. La suprématie des statuts est ainsi clairement affirmée.

 

Chambre commerciale, 12 octobre 2022, 21-15.382, Publié au bulletin

 

L’année 2022 est décidément riche d’enseignements jurisprudentiels quant au régime juridique applicable aux dirigeants de SAS.

Nous vous avons déjà présenté l’arrêt du 25 mai 2022 qui précise que le directeur général d’une SAS peut être investi d’un pouvoir général de représentation de la société. Surtout, cette décision rappelle que plusieurs règles doivent être respectées pour garantir l’efficacité des pouvoirs accordés statutairement au directeur général. (Voir ici notre article)

Nous avons également proposé une analyse de l’arrêt du 9 mars 2022 qui revenait sur les modalités et les causes de révocation des dirigeants de SAS qui sont déterminées par les statuts. A défaut de stipulations statutaires, ces dirigeants sont révocables librement, donc sans juste motif, et à tout moment. (Voir ici notre article)

Dans un nouvel arrêt rendu en date du 12 octobre 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur l’articulation entre les statuts et les actes extra-statutaires en matière d’organisation de la direction d’une SAS.

 

Rappels sur l’organisation de la direction au sein des SAS

 

L’article L. 227-5 du Code de commerce souligne la liberté offerte aux actionnaires afin d’organiser les modalités de direction de la SAS. Il dispose que « les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».

Toutefois, l’article L. 227-6 du même code limite cette liberté : la SAS est impérativement représentée à l’égard des tiers par un et un seul président désigné dans les conditions prévues par les statuts ; ce qui signifie par exemple que ce ne sont pas nécessairement tous les associés qui décident qui sera président.

Ce président peut être une personne physique comme une personne morale. Il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l’objet social et sans que les limitations statutaires de ses pouvoirs ne soient opposables aux tiers.

S’il y a obligation d’avoir un et un seul président, il est également possible de créer d’autres organes de direction dans la SAS. La liberté est entière. Il est ainsi possible d’importer des organes utilisés dans d’autres formes sociales (ex. : conseil de surveillance ou conseil d’administration de SA) ou alors de créer un poste ou un organe de direction de toutes pièces. Les statuts devront soigneusement organiser les modalités de désignation et de révocation des dirigeants, mais aussi de fonctionnement. On pense par exemple aux conditions dans lesquelles seront adoptées les décisions de l’organe collégial créé : modalités de convocation des dirigeants, lieu de réunion, quorum et majorité, possibilité ou non de se faire représenter et, dans l’affirmative, dans quelles conditions, etc.

Notamment, en application de l’article L. 227-6 al. 3 du Code de commerce, les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général (DG) ou de directeur général délégué (DGD), peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par la loi. Le DG et le DGD accèdent ainsi au statut de représentants légaux de la SAS et n’ont donc pas à être titulaires d’une délégation de pouvoirs ou d’un pouvoir spécial.

Dans le même ordre d’idée et comme souligné par l’arrêt précédemment évoqué du 09 mars 2022, ce sont encore une fois les statuts qui fixent les modalités de révocation des dirigeants au sein des SAS. En cas de silence statutaire, les dirigeants de SAS sont révocables ad nutum, c’est-à-dire sans juste motif et à tout moment. Il faut uniquement veiller à ce que les circonstances entourant la révocation ne soient pas abusives. Ainsi, bien que librement révocable, le dirigeant ne doit pas être « traîné dans la boue » lors de sa perte de fonction. C’est par exemple le cas des révocations accompagnées de propos susceptibles de nuire à la réputation du dirigeant, mais aussi des révocations déloyales ou encore intempestives assorties de procédés vexatoires. De manière synthétique, la Cour de cassation a pu avancer que la révocation d’un dirigeant « n’est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à la réputation ou à l’honneur du dirigeant révoqué ou si elle a été décidée brutalement sans respecter le principe de la contradiction » (Cass. com., 03 janvier 1996, n° 94-10765).

 

Les faits et les enjeux de l’arrêt du 12 octobre

 

L’arrêt rendu le 12 octobre 2022 est instructif puisqu’il revient tant sur les directeurs généraux SAS que sur les modalités de leur révocation.

En l’espèce, M. X, directeur général d’une SAS, fut révoqué de ses fonctions par l’associé unique de la société. Il réclamait le versement de la somme de 43 860 euros en raison de la révocation sans juste motif de son mandat de direction.

Pour appuyer sa demande, il se fonde sur le procès-verbal de sa désignation en qualité de directeur général et sur une lettre-accord du même jour. Le procès-verbal précisait en effet que « les modalités de sa rémunération et de sa collaboration de manière générale avec la société seront celles figurant dans un courrier en date du 13 mai 2011 adressé par M. [U] au directeur général M. X ». Ledit courrier indiquait quant à lui qu’ « en cas de révocation de vos fonctions de directeur général de la société sans juste motif, vous bénéficierez d’une indemnité forfaitaire égale à six mois de votre rémunération brute fixe ». Estimant avoir été révoqué sans juste motif, M. X réclamait donc le paiement de la somme prévue par la lette-accord.

Pour autant la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 février 2021, ne fit pas droit à sa demande en se fondant sur les statuts de la SAS. En effet, l’article 12 de ces derniers stipulaient que « le directeur général peut être révoqué à tout moment et sans qu’aucun motif soit nécessaire, par décision de la collectivité des associés ou de l’associé unique » et que « la cessation, pour quelque cause que ce soit et quelle qu’en soit la forme, des fonctions de directeur général, ne donnera droit au directeur général révoqué à aucune indemnité de quelque nature que ce soit ».

En clair, les statuts étaient en contrariété totale avec la lettre-accord puisqu’ils écartaient l’exigence d’un juste motif de révocation et en conséquence le versement d’une indemnité de révocation.

La Cour de cassation est donc amenée à se prononcer sur la valeur de l’accord extrastatutaire contraire et postérieur aux statuts.

 

Réponse prétorienne et portée

 

Dans son arrêt du 12 octobre 2022, la haute juridiction considère le moyen infondé et rejette le pourvoi.

Sans grande surprise, elle énonce qu’il résulte de la combinaison des articles L. 227-1 et L. 227-5 du Code de commerce que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. Si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger.

Appliquée à la situation de M. X, la décision signifie que dès lors que les statuts d’une SAS prévoient une révocation sans juste motif du directeur général et sans indemnité, celui-ci, révoqué ad nutum, ne peut invoquer une convention de direction prévoyant une indemnité en cas de révocation pour juste motif.

L’arrêt démontre une nouvelle fois la prééminence des statuts sur les engagements extrastatutaires et notamment, peut-on imaginer, les pactes d’associés. Il faut toutefois relever qu’en l’espèce il n’était nullement question d’un pacte d’associés mais bien d’une convention de direction. Les statuts, contrairement aux pactes et plus largement aux autres actes extrastatutaires, sont publiés et donc accessibles. On comprend ainsi qu’ils constituent le socle fondamental des règles applicable au sein de la société et la loi des associés.

En matière de direction de SAS, la loi renvoyant expressément aux statuts afin d’organiser la direction de la société et notamment les modalités de révocation des dirigeants, la solution retenue dans l’arrêt étudié paraît d’autant plus justifiée.

Elle s’ajoute à des précédents qui avaient déjà démontré la suprématie des dispositions statutaires en matière de direction de SAS. Dans un arrêt du 25 janvier 2017, en se fondant déjà sur les articles L. 227-1 et L. 227-5 du Code de commerce, il avait été avancé, à l’identique, que « seuls les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ». Dans cette affaire il était précisé qu’à l’issue de la transformation d’une SA en SAS, si les statuts de la SAS ne mentionnent pas de conseil d’administration il n’y a tout simplement pas de conseil d’administration en dépit des pratiques antérieures à la transformation. Les membres du conseil d’administration en poste avant la transformation ne conservent donc pas leur qualité d’administrateur et les droits qui peuvent en découler (Cass. com. 25 janv. 2017, n°14-28792). Cet arrêt affirmait déjà l’importance donnée aux statuts dans l’organisation de la société puisque seuls les organes de direction qu’ils instituent font partie de cette organisation, à l’exclusion de tout autre qui serait prévu par acte extra-statutaire (par exemple un pacte d’actionnaires ou un règlement intérieur) ou, comme en l’espèce, par les pratiques en cours au sein de la société (issues, en l’occurrence, d’une « survivance » de l’ancienne SA).

La solution de l’arrêt du 12 octobre 2022 semblait acquise en soulignant qu’un acte extrastatutaire ne peut pas déroger aux statuts mais seulement les compléter. Elle invite les dirigeants de SAS à se fier avant tout aux stipulations statutaires organisant la révocation et une éventuelle indemnisation.

En revanche, il ne faut pas totalement écarter le recours à des aménagements extrastatutaires dans le cadre des SAS et qui plus est à des pactes d’associés. Il faut alors vérifier que ces derniers ne contredisent pas les règles statutaires dont la liberté d’organisation est prévue par la loi.

En matière de direction de SAS, ces actes extrastatutaires doivent obligatoirement ainsi être conformes aux statuts. Autrement dit, ils ne peuvent que les préciser voire les compléter pour être applicables et avoir force obligatoire entre les parties. Il faut donc veiller à les rédiger au regard du contenu des statuts. Cependant, la supériorité des statuts n’est pas absolue. Une étude approfondie de la jurisprudence démontre qu’en cas de conflit, une force supérieure n’est assurément accordée aux statuts que dans les hypothèses où le conflit entre les normes statutaires, d’une part, et les aménagements extrastatutaires, d’autre part, porte sur des questions ayant trait au fonctionnement de la société.

 

Par Quentin Némoz-Rajot