Clauses statutaires d’exclusion en SAS : QPC

Clauses statutaires d'exclusion

21 novembre 2022

Par un arrêt du 12 octobre 2022 publié au Bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation renvoie devant le Conseil constitutionnel 4 questions prioritaires de constitutionnalité relatives aux clauses statutaires d’exclusion dans les SAS.

Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique, 12 Octobre 2022, n° 22-40.013

Dans cet arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, il est question de la constitutionnalité des articles L. 227-16 et L. 227-19 du Code de commerce qui, en substance, autorisent désormais l’insertion ou la modification de clauses d’exclusion dans les statuts de SAS, sans recourir à l’unanimité (I). C’est aussi l’occasion pour la Haute juridiction de se prononcer sur l’application dans le temps de l’article L. 227-19 du Code de commerce aux sociétés constituées avant la loi dite de simplification du droit des sociétés du 19 juillet 2019 (II).

 

Les faits

 

M.N était salarié et associé de la SAS X. En octobre 2020, il démissionna de ses fonctions salariées. Or, l’article 11 des statuts de la SAS X stipulait que la qualité d’associé était réservée aux personnes ayant la qualité de salarié et/ou de mandataire social de la société. Ainsi la perte, par M. N, de l’une de ces qualités supposait la convocation d’une assemblée générale extraordinaire afin qu’elle se prononce sur son exclusion de la société en qualité d’associé. Précisons qu’il s’agissait bien ici d’une clause d’exclusion et non d’éviction puisqu’un vote des associés devait avoir lieu en assemblée générale.

Dans sa version initiale, cet article 11 des statuts de la SAS précisait que l’associé dont l’exclusion est envisagée ne prend pas part au vote sur la décision de son exclusion. Cette privation du droit de vote était en totale contradiction avec une position jurisprudentielle aujourd’hui bien arrêtée. (V. par ex. Cass. com. 23 oct. 2007 n°06-16537 : Il résulte de l’article 1844, alinéa 1, du Code civil que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter. Ainsi les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi. Si, aux termes de l’article L. 227-16 du Code de commerce, les statuts d’une société par actions simplifiée peuvent, dans les conditions qu’ils déterminent, prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions, ce texte n’autorise pas les statuts, lorsqu’ils subordonnent cette mesure à une décision collective des associés, à priver l’associé dont l’exclusion est proposée de son droit de participer à cette décision et de voter sur la proposition).

En conséquence, le 22 janvier 2021, l’assemblée générale extraordinaire a très logiquement modifié, à la majorité requise par les statuts, l’article 11 des statuts afin que l’associé dont l’exclusion était envisagée prenne part au vote concernant sa propre exclusion. Puis le même jour, l’assemblée générale extraordinaire a exclu M. N, celui-ci ayant alors, en application de l’article 11 réécrit des statuts, pris part au vote relatif à son exclusion.

M.N a dès lors assigné la SAS en nullité de la modification statutaire du 22 janvier 2021, de la décision l’excluant de la société et de la cession de ses actions. Devant le tribunal de commerce, il a formulé quatre QPC.

 

QPC sur les clauses d’exclusion en SAS

 

Les quatre QPC transmises par le tribunal de commerce à la Cour de cassation sont les suivantes :

 » 1°/ L’article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme [et du citoyen de 1789] alors qu’il porte atteinte au droit de propriété sans nécessité publique ?

2°/ L’article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme [et du citoyen de 1789] alors qu’il porte atteinte de façon disproportionnée aux droits de propriété sans que cette atteinte soit justifiée par un motif d’intérêt général ?=

3°/ L’article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme [et du citoyen de 1789] alors qu’il permet, combiné à l’article L. 227-19 du même code, la cession forcée par l’associé de ses actions sans qu’il ait consenti à l’adoption de la clause statutaire d’exclusion l’autorisant ?

4°/ L’article L. 227-19 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme [et du citoyen de 1789] alors qu’il permet la cession forcée par l’associé de ses actions sans qu’il ait consenti à l’adoption de la clause statutaire d’exclusion l’autorisant ? « 

Comme le relève la Cour de cassation pour justifier sa décision, « Les articles L. 227-16 et L. 227-19 du code de commerce n’ont pas déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ».  De plus, elle souligne que les questions posées présentent un caractère sérieux car l’article L. 227-16, alinéa 1er, du Code de commerce a pour conséquence de permettre à une SAS de priver, en exécution d’une clause statutaire d’exclusion, un associé de la propriété de ses droits sociaux sans que cette privation repose sur une cause d’utilité publique.

En outre, les hauts magistrats ajoutent qu’en application de l’article L. 227-19 alinéa 2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 (dite Soilihi ou encore de simplification du droit des sociétés), une SAS peut, par une décision non adoptée à l’unanimité de ses associés, priver un associé de la propriété de ses droits sociaux sans qu’il ait consenti par avance à sa possible exclusion dans de telles conditions. Ils considèrent que cela serait de nature à porter atteinte au droit de propriété et à ses conditions d’exercice, garantis par les articles 17 et 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

Aussi, les 4 QPC ont-elles été renvoyées devant le Conseil constitutionnel qui dispose d’un délai de 3 mois pour se prononcer. Sa réponse sera très attendue !

L’hypothèse d’une QPC avait été soulevée dès la publication de la loi Soilihi. En effet, avant ladite loi, une clause statutaire d’exclusion ne pouvait être introduite dans les statuts d’une SAS qu’à l’unanimité des associés. Autrement dit, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, un associé de SAS ne pouvait être soumis à une clause d’exclusion sans avoir donné son consentement lors de la constitution de la société, lors d’une modification des statuts ou encore lors de son arrivée dans le capital social.

Des auteurs avaient par exemple relevé que l’insertion dans les statuts d’une SAS d’une clause d’exclusion s’apparenterait à une forme d’augmentation des engagements individuels des associés, supposant de recueillir le consentement de chacun d’entre eux en vertu de l’article 1836 du Code civil. Toutefois, l’exigence de l’unanimité ayant été écartée par la loi Soilihi, un tel argument ne devrait prospérer et l’on comprend ainsi pourquoi il n’a pas été soulevé par M. N.

 

Qu’a changé la loi du 19 juillet 2019 à propos des clauses statutaires d’exclusion en SAS ?

 

Au moment de la constitution de la société : rien ! En effet, les associés fondateurs doivent tous signer les statuts et par conséquent accepter une éventuelle clause statutaire d’exclusion dont l’utilité n’est plus à démontrer. Dans le même ordre d’idée, un associé intégrant la société en cours de fonctionnement prend sa décision de souscrire et/ou d’acquérir des titres connaissance prise (ou supposée prise *) des statuts et consent ainsi, a minima indirectement, à la présence d’une telle clause.

* En effet, chaque associé est censé avoir pris connaissance des statuts dont il a accepté toutes les clauses, même celles qui s’y ajoutent après son entrée dans la société (CA Paris 11-5-1999 : RJDA 10/99 n° 1079))

Pendant le fonctionnement de la société pour les associés déjà présents au sein de la société : beaucoup ! Dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel, l’unanimité des associés n’est donc plus exigée. Conformément à la nouvelle lettre de la loi, les clauses d’exclusion insérées dans les statuts « ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts». Cela signifie qu’une décision de la majorité ou à une majorité qualifiée (selon les règles fixées dans les statuts) peut imposer « en force » l’insertion ou la modification d’une clause d’exclusion statutaire à un actionnaire minoritaire. Se pose alors la question de l’application dans le temps de cette règle : est-elle limitée aux SAS créées une fois la loi Soilihi entrée en vigueur ?

 

L’application dans le temps de la réforme de 2019

 

L’article L. 227-19 du Code de commerce dans sa nouvelle rédaction est entrée en vigueur le 21 juillet 2019. Son application aux SAS constituées à partir de cette date ne souffre d’aucune contestation. En revanche, la question peut se poser pour les SAS constituées avant la réforme du texte. Insidieusement, le débat conduit également à s’interroger sur la nature de la société. Si la société est vue comme un contrat, la réforme ne peut pas s’appliquer de manière rétroactive et donc aux sociétés crées avant le 21 juillet 2019. A l’inverse, si la société est analysée comme une institution, la nouvelle lettre de l’article L. 227-19 doit s’appliquer à toutes les SAS en cours de fonctionnement, peu importe donc la date de leur création.

Dans son arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation tranche cette problématique au §9 sans pour autant avancer un principe général applicable en droit des sociétés au sein de toutes les formes sociales. « En effet, ces dernières dispositions, qui suppriment l’exigence d’unanimité pour l’adoption ou la modification d’une clause statutaire d’exclusion dans les sociétés par actions simplifiée, ont pour objet et pour effet de régir les effets légaux du contrat de société. Elles sont, par suite, applicables aux sociétés par actions simplifiées créées antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 ». Cette solution ne surprend guère et évite de « bloquer » les règles applicables à une société à celles en vigueur au jour de sa constitution. On comprend donc que la Cour de cassation accorde un caractère rétroactif à la nouvelle rédaction de l’article L. 227-19 du Code de commerce. On relèvera également qu’en réglant la problématique en se fondant sur les effets légaux du contrat de société, la Haute juridiction opte pour une analyse contractuelle de la SAS qui s’entend aisément au regard de la liberté laissée aux actionnaires pour rédiger les statuts.

Ainsi, peu importe la date de constitution de la SAS, l’unanimité n’est plus exigée pour modifier ou insérer une clause statutaire d’exclusion. Du moins dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel… Une audience publique est annoncée pour le 29 novembre sur le site internet du Conseil.

La décision devrait être connue avant mi-décembre.

Par Quentin Némoz-Rajot