Par une décision attendue du 9 décembre 2022, le Conseil constitutionnel a reconnu la conformité à la Constitution des articles L. 227-16 et L. 227-19 du Code de commerce. En SAS, les clauses statutaires d’exclusion d’un associé sont donc constitutionnelles.
Cons. const., déc. n° 2022-1029 QPC, 9 déc. 2022 (voir ici la décision).
Par un arrêt du 12 octobre 2022 publié au Bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait renvoyé devant le Conseil constitutionnel 4 questions prioritaires de constitutionnalité relatives aux clauses statutaires d’exclusion dans les SAS. (Voir ici notre article).
La décision des Sages du 9 décembre 2022 étaient donc attendues avec impatience. Elle est au demeurant peu surprenante puisqu’elle ne remet pas en cause l’ordre établi par le législateur dans le cadre de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 (dite Soilihi ou encore de simplification du droit des sociétés).
Dès l’adoption de la loi, l’hypothèse d’une QPC avait été soulevée. En effet, avant ladite loi, une clause statutaire d’exclusion ne pouvait être introduite dans les statuts d’une SAS qu’à l’unanimité des associés. Autrement dit, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, un associé de SAS ne pouvait être soumis à une clause d’exclusion sans avoir donné son consentement lors de la constitution de la société, lors d’une modification des statuts ou encore lors de son arrivée dans le capital social.
Depuis l’entrée en vigueur des nouveaux textes, pendant le fonctionnement de la société, les clauses d’exclusion insérées dans les statuts « ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts ». Cela signifie qu’une décision de la majorité ou à une majorité qualifiée (selon les règles fixées dans les statuts) peut imposer « en force » l’insertion ou la modification d’une clause d’exclusion statutaire à un actionnaire minoritaire. L’unanimité des associés n’est donc plus exigée pour adopter ou modifier une clause d’exclusion des associés.
Dans le cadre de l’affaire portée devant le Conseil constitutionnel, le requérant reprochait alors aux articles précités du Code de commerce de permettre qu’un associé soit tenu de céder ses actions en application d’une clause statutaire d’exclusion à laquelle il n’aurait pas consenti.
La décision rendue est claire : les dispositions du Code de commerce contestées ne « méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ». Ainsi les deux textes sont déclarés conformes à la Constitution. En conséquence, la licéité des clauses statutaires d’exclusion en SAS est définitivement affirmée même lorsque l’insertion de la clause dans les statuts ou sa modification n’a pas été, conformément aux statuts, réalisée à l’unanimité des actionnaires.
Pour justifier sa décision, le Conseil se montre prolixe bien que certains arguments étonnent :
Il rappelle que les articles discutés ont pour seul objet de permettre à une société par actions simplifiée d’exclure un associé en application d’une clause statutaire. « S’il en résulte qu’un associé peut être contraint de céder ses actions, elles n’entraînent donc pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ».
Il est ajouté qu’à travers les clauses d’exclusion, le législateur a entendu garantir la cohésion de l’actionnariat des SAS et assurer ainsi la poursuite des activités sociétaires. Au regard des travaux parlementaires, il est énoncé que ces clauses permettent d’éviter les situations de blocage pouvant résulter de l’opposition de l’associé concerné à l’insertion ou à la modification d’une telle clause. Ce faisant, elles poursuivent un objectif d’intérêt général. En clair, si la règle de l’unanimité a été écartée par le législateur, c’est pour mieux protéger l’intérêt général et notamment tout l’environnement sociétaire.
De plus, il est ajouté qu’« il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la décision d’exclure un associé ne peut être prise qu’à la suite d’une procédure prévue par les statuts. Elle doit reposer sur un motif, stipulé par ces statuts, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public, et ne pas être abusive ». Autrement dit, il existe des garanties qui permettent d’écarter les exclusions purement arbitraires qui, on l’imagine, pourraient quant à elles porter une atteinte trop importante aux droits des associés. Nous sommes cependant circonspects quant à l’existence d’une jurisprudence constante et à l’exigence d’un motif statutaire d’exclusion au regard de décisions récentes de la Haute juridiction (V. par ex. : Cass. com. 9 nov. 2022 n° 21-10.540 FS-B. « Il résulte de l’article L. 231-6, alinéa 2, du code de commerce qu’est licite une clause des statuts d’une société commerciale à capital variable stipulant que tout associé peut être exclu de la société pour justes motifs par une décision des associés réunis en assemblée générale statuant à la majorité fixée pour la modification des statuts, quand bien même cette clause ne précise pas les motifs d’exclusion »).
Les sages s’attachent aussi à démontrer que l’exclusion de l’associé conformément à une clause statutaire ne se fait pas sans contrepartie. En effet, « l’exclusion de l’associé donne lieu au rachat de ses actions à un prix de cession fixé, selon l’article L. 227-18 du code de commerce, en application de modalités prévues par les statuts de la société, ou, à défaut, soit par un accord entre les parties, soit par un expert désigné dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil ». On comprend dès lors pourquoi, selon les Sages, il n’y a pas de réelle privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789.
Enfin, le raisonnement se termine par une précision troublante : « en dernier lieu, la décision d’exclusion peut être contestée par l’associé devant le juge, auquel il revient alors de s’assurer de la réalité et de la gravité du motif retenu. L’associé peut également contester le prix de cession de ses actions ».
Or, il nous semble que la contestation du prix ne devrait pas toujours être permise ; tout dépendra des modalités de fixation du prix retenues. Surtout, si l’existence d’un contrôle de la réalité du motif d’exclusion retenu est logique, il n’en va pas de même de la vérification de sa gravité. Nous peinons à nouveau, sur ce point, à identifier la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Qui plus est, si le motif d’exclusion prévu par les statuts est déterminé, pourquoi faudrait-il en contrôler la gravité ? Cela serait contreproductif et contraire à toute la logique des clauses d’exclusion pourtant mise en avant dans la décision.
Toutefois, que l’on se rassure, il est donc bien possible d’appliquer les dispositions de la loi Soilihi à la lettre en matière d’exclusion statutaire au sein d’une SAS et ceci quelle que soit la date de la création de la société.