Validité d’un pacte d’associés conclu pour la durée de vie de la société

Validité d’un pacte d’associés

8 février 2023

Dans un arrêt publié au Bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation affirme que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société

Cass. civ. 1ère, 25 janvier 2023, 19-25.478, Publié au bulletin

(Arrêt à consulter ici)

La question de la durée d’un pacte d’associés est une question sensible qui a finalement donné lieu a peu d’arrêts. Aussi la décision du 25 janvier 2023, publiée au Bulletin et rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation, revêt-elle une grande importance. On relèvera d’ailleurs que la chambre commerciale de la Haute juridiction a délibéré sur le moyen, confortant ainsi la portée de l’arrêt.

 

Faits et problématique

 

Le 30 janvier 2010, autrement dit sous l’empire du droit antérieur à la réforme du droit des contrats, M. I et ses cinq enfants ont conclu avec la société HC un pacte d’actionnaires pour s’assurer de la stabilité de l’actionnariat d’une SAS et de son caractère familial. Plus précisément, l’arrêt indique que le pacte « prévoit ce qui devra être mis en œuvre lorsque M. [I] [F] ne sera plus associé du groupe Socri afin que le groupe reste au sein de la famille, ainsi que des dispositions devant immédiatement régir la vie de la société et les actes des associés ».

Toutefois, M. I et la société HC ont, par lettre du 23 février 2017, notifié à l’un des enfants signataires la résolution unilatérale du pacte. Ce dernier a alors contesté la régularité de la résolution. La Cour d’appel d’Aix en Provence, dans un arrêt du 17 octobre 2019, a déclaré régulière cette résiliation en s’appuyant sur la durée du contrat. Le pacte avait en effet été conclu pour la durée restant à courir de la SAS, soit 58 ans, ce qui fut qualifié d’excessif et en conséquence de durée indéterminée autorisant ainsi une résiliation unilatérale.

Le pourvoi portait dès lors sur la question de la durée d’un pacte d’associés et son éventuel caractère excessif lorsqu’elle coïncide avec la durée de la société qui, en application de l’article 1838 du Code civil, ne peut excéder 99 ans.

 

Réponse de la Cour de cassation

 

Au visa des articles 1134 ancien du Code civil et 1838 du même code, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en affirmant qu’« il résulte de la combinaison de ces textes que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement ».

La précision est de taille et devrait faciliter la tâche des rédacteurs de pacte. Pour la bonne économie de ces contrats, il est nécessaire de prévoir une durée déterminée qui n’est pas toujours aisée à fixer. En effet, en présence d’une durée indéterminée, une partie peut résilier unilatéralement le contrat sous réserve de respecter le préavis stipulé ou, à défaut, un délai raisonnable. Comme en l’espèce, le pacte d’associés devient alors inefficace et perd tout ou partie de son intérêt.

Pire encore, sans durée déterminée initiale, une partie pourrait anticiper une future exécution de ses engagements contractuels et y échapper de manière parfaitement licite à travers une résiliation unilatérale. On relèvera tout de même une décision intéressante qui démontre qu’une résiliation anticipée du pacte conclu à durée indéterminée n’empêche pas toujours l’exécution des engagements prévus au contrat résilié. En effet, la résolution sans préavis d’un pacte à durée indéterminée comportant des promesses croisées d’achat et de vente d’actions n’interdit pas de juger que l’un des contractants doit exécuter sa promesse d’achat des titres dès lors que la vente est parfaite dès la levée de l’option par l’autre signataire, intervenue avant que le pacte ne prenne fin à l’issue du délai raisonnable fixé souverainement par le juge à six mois décomptés à partir de la notification de la résolution du pacte (Cass. com., 27 sept. 2017, n° 16-13.112).

Désormais, il est donc licite de prévoir comme durée du pacte d’associés celle de la société sans risquer une requalification en un contrat à durée indéterminée et donc une résiliation intempestive. La précision est majeure, mettant fin à des tergiversations jurisprudentielles et à des interprétations incertaines. La sécurité des parties et l’économie générale des pactes d’associés ressortent donc renforcée puisque le risque d’une résiliation unilatérale est expressément écarté en présence d’une durée calquée sur celle de la société. Somme toute, en vertu de l’article 1838 du Code civil, le pacte a bien une durée limitée à celle stipulée statutairement qui ne peut dépasser 99 ans.

Les rédacteurs seront rassurés au moment de fixer la durée du pacte. Cependant, certaines précautions devront toujours être prises et il sera notamment opportun d’apprécier l’intérêt d’un pacte à très longue durée. Certes, comme le demandeur au pourvoi l’avait souligné, la stabilité du pacte social en ressort renforcée. Toutefois, à l’inverse et comme rappelé par les défendeurs, une longue durée pourrait parfois se retourner contre les intérêts des signataires. La liberté des signataires peut être très sensiblement réduite par la conclusion d’un pacte longue durée rendant les parties prisonnières de leurs engagements. En clair, tous les pactes d’associés ne verront donc pas leur durée alignée sur celle de la société. Au demeurant, il est aussi possible de panacher les durées au sein d’un même pacte en adaptant ces dernières à la nature des obligations stipulées (ex : une durée de 5 ans pour une clause d’inaliénabilité et de 10 ans pour une clause d’informations renforcées).

 

Portée et analyse

On relèvera avant tout que l’article 1210 du Code civil aux termes duquel « Les engagements perpétuels sont prohibés » n’était pas applicable aux faits d’espèce. En effet, ce texte n’était pas encore en vigueur puisqu’issu de l’ordonnance du 10 février 2016 applicable aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016. On comprend mieux qu’il n’apparaisse pas au visa de l’arrêt commenté.

Avant la réforme du droit des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition générale sur la durée des contrats et n’envisageait que la question du terme de l’obligation (art. 1185 et s. ancien du C. civ.). Toutefois, sous l’empire du droit antérieur applicable au cas d’espèce, la Cour de cassation (V. par ex. Cass. com., 08 fév. 2017, n°14-28232) avait déjà établi ce principe général de prohibition des engagements perpétuels à partir de textes spéciaux inclus dans le Code civils comme l’article 1780, alinéa 1er, (interdiction du louage de services à vie).

Se posait alors la question de la sanction applicable à un engagement perpétuel face à une jurisprudence fluctuante. L’un des enseignements de l’arrêt commenté consiste en la confirmation implicite d’un précédent arrêt du 21 septembre 2022 (Cass. com., 21 septembre 2022, n°20-16994) déjà rendu en matière de pacte d’associés, aux termes duquel « les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ».

Il est donc désormais clair que, même pour les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats, la durée indéterminée d’un contrat n’est pas sanctionnée par la nullité mais bien, comme le prévoit désormais l’article 1210 du Code civil alinéa 2, que chaque partie puisse y mettre fin unilatéralement sous réserve de respecter un délai de préavis raisonnable.

Surtout, le risque de requalification en engagement perpétuel d’un pacte conclu pour la durée de la société est très nettement écarté bien qu’il faille encore se méfier de formulation malheureuse comme « Le pacte lie les parties aussi longtemps que vit la société ». Contrairement à l’arrêt précité du 21 septembre 2021, la Cour de cassation se prononce cette fois très nettement sur la possibilité de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société. Or, jusqu’à l’arrêt du 25 janvier 2023, la jurisprudence était incertaine en matière de durée de pacte d’associés.

Un arrêt remarqué de la Cour d’appel de Paris (CA Paris 15 déc. 2020) avait apporté de précieux enseignements. Il retenait qu’il « s’induit de la stipulation expresse d’une clause de durée dans le pacte et de sa référence à la durée de la société, qui est affectée du terme de 99 ans, que les parties ont bien entendu appliquer un terme précis à leurs engagements au titre du pacte d’actionnaires ». Autrement dit, il semblait licite de choisir comme durée de vie du pacte celle de la société qui est par nature légalement limitée à 99 ans. Toutefois, d’autres décisions ne rejoignaient aucunement cette position. Ainsi, dans un arrêt du 19 mars 2002 (Civ. 1ère, 19 mars 2002, n°99-21.209) relatif à un contrat conclu « pour la durée de la société » entre un médecin et une société exploitant une clinique, la Haute juridiction avait considéré « que l’engagement ainsi pris par le praticien avait à son égard un caractère perpétuel, d’où elle a déduit, par des motifs non critiqués par le pourvoi, que, la stipulation de ce terme étant nulle, la convention devait être réputée conclue sans durée déterminée, et, par conséquent, avec faculté de résiliation unilatérale pour chacune des partie ».

Désormais, le doute n’est plus permis et il est licite de calquer la durée d’un pacte sur la vie de la société sans d’ailleurs avoir à distinguer selon que les parties sont des personnes physiques ou des personnes morales comme certains auteurs avaient pu le laisser entendre (V. not. « R. Libchaber, Réflexions sur les engagements perpétuels et la durée des sociétés : Rev. sociétés 1995, p. 437). La liberté contractuelle autoriserait donc les parties à se priver de leur liberté individuelle pour une durée excédant leur vie professionnelle comme leur vie tout court. La rupture avec certaines solutions prétoriennes antérieures est forte mais pas illogique si l’on garde à l’esprit le caractère limité de la durée de vie statutaire d’une société imposé par l’article 1838 du Code civil.

En revanche, il nous semble judicieux de bien viser dans le pacte la durée statutaire de la société et non la seule durée de la société pour éviter une éventuelle requalification du pacte en engagement perpétuel au regard de la faculté de proroger le terme d’une société (Art. 1844-6 C. civ.). C’est au demeurant bien ce qui ressortait des stipulations du pacte de l’arrêt commenté : « le contrat est conclu pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu’à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, qu’au terme de cette première période, le pacte sera automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée et qu’à l’occasion de chaque renouvellement, toute partie pourra dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins six mois à l’avance aux autres parties ». Cette formule apparaît opportune en fixant un terme, certes lointain, au contrat tout en permettant aux parties d’en sortir au moment de la prorogation afin d’écarter une possible qualification d’engagement perpétuel. Elle démontre qu’il est donc possible, au sein du pacte, d’aménager une faculté de prorogation liée à celle de la société afin de parvenir à une quasi-perpétuité du pacte. Il conviendra cependant de laisser la possibilité aux parties de « quitter » le pacte lors de la prorogation afin d’échapper à une requalification en un engagement perpétuel.

Si la Cour de cassation permet donc de conclure des pactes d’associés pour une très longue durée, toutes les difficultés ne sont donc pas réglées. Nos équipes se tiennent à votre disposition pour déterminer, avec vous, la durée de pacte la plus adaptée à vos besoins et aux dernières évolutions jurisprudentielles.

 

Par Quentin Némoz-Rajot