L’action en référé prévue à article L. 123-5-1 du Code de commerce afin d’obtenir du dirigeant d’une personne morale de procéder au dépôt des pièces visées à l’article R. 123-105 du même code n’est pas soumise au délai de prescription de droit commun. Elle peut ainsi être exercée pendant toute la durée de vie de la société.
Cass. com. 25 janv. 2023, n°21-17592, Publié au Bulletin
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L’article L. 123-5-1 du Code de commerce, issu de la loi NRE de 2001 (Article 123 II de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001), permet à tout intéressé ou au ministère public de demander, en référé, au président du tribunal compétent d’enjoindre sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) auquel cette dernière est tenue par des dispositions légales. Le président peut aussi opter pour la désignation d’un mandataire qui sera alors chargé d’effectuer ces formalités.
Pour la première fois, la Cour de cassation se prononce sur la question du délai de prescription applicable à cette action en référé et in fine sur la recevabilité d’une demande très « tardive ».
Les faits
En l’espèce, lors d’une assemblée générale le 15 janvier 1993, les associés de la SA B. décidèrent de sa transformation en SCA et de la modification de son objet social. Toutefois, le nouvel objet statutaire voté à l’unanimité ne fut pas inscrit en totalité dans les statuts déposés le 23 mars 1993 au greffe du Tribunal de commerce de Bayonne. La mention suivante fut omise dans les statuts communiqués au greffe : « ainsi que l’animation de ces sociétés plus particulièrement celle de la banque X par les moyens appropriés ».
Aussi 26 ans plus tard, en novembre 2019, des associés minoritaires de la SCA B agirent en référé, sur le fondement de l’article L. 123-5-1 du Code de commerce, aux fins d’enjoindre M. B, en sa qualité de gérant de la société, de procéder au dépôt des statuts intégrant la modification de l’objet social.
Certes, « mieux vaut tard que jamais », mais la question de la prescription de l’action se posait nécessairement. Pour la Cour d’appel de Pau, l’action était irrecevable car prescrite qui plus est, on l’imagine, au regard du caractère aussi tardif que proche de l’abus de la demande. Pour établir la prescription, Il fut alors jugé qu’il s’agissait d’une action personnelle en ce qu’elle avait pour objet de faire reconnaître l’existence d’un droit ou d’une obligation contre une personne. De cette analyse, et en l’absence de dispositions dérogatoires, il fut décidé de l’application du délai de prescription de droit commun de cinq ans prévu à l’article 2224 du code civil.
Solution de la Cour de cassation
Dans son arrêt du 25 janvier 2023, publié au Bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles 2224 du Code civil, L. 123-1, L. 123-5-1 et R. 123-105 du Code de commerce.
Elle considère que l’action prévue à l’article L. 123-5-1 du code de commerce, qui permet à tout intéressé ou au ministère public d’obtenir du dirigeant d’une personne morale de procéder au dépôt des pièces prévues à l’article R. 123-105 du même code, n’est pas soumise au délai de prescription prévue par l’article 2224 du code civil. Autrement dit, l’action serait recevable car non encore prescrite ce qui permet de s’assurer de l’effectivité, même très tardive, des publicités imposées par le législateur.
Il faut donc comprendre que la demande de dépôt au RCS peut être formulée durant toute la durée de vie de la personne morale. On imagine d’ailleurs que la prescription du droit commercial (Art. L. 110-4 C. com.), également quinquennale, ne serait pas plus applicable à l’action fondée sur l’article L. 123-5-1 C. com.
En cas d’omission, tant que la société fonctionne, il est donc nécessaire de réaliser les dépôts et possible, pour tout intéressé, de le demander en référé même des années après. L’effectivité des dispositions légales propres aux mesures de publicité destinées à l’information des tiers à la société ressort alors grandie.
Analyse de la décision
La solution retenue ouvre très largement la recevabilité du référé injonction prévu à l’article L. 123-5-1 du Code de commerce.
A l’appui de son raisonnement, la Haute juridiction souligne que l’obligation de dépôt au RCS est « destinée à l’information des tiers », ce qui justifie donc qu’elle perdure pendant toute la vie de la personne morale. En l’espèce, 26 ans plus tard, la société se doit donc de déposer ses statuts à jour bien que l’injonction de procéder au dépôt soit adressée au dirigeant de la société et puisse, en conséquence, être qualifiée de personnelle. Cependant, pour conforter l’analyse prétorienne, cette action a bien pour but l’accomplissement d’une obligation de la société et non une obligation véritablement « personnelle » au dirigeant.
Ainsi, le dépôt des actes, délibérations ou décisions modifiant les pièces déposées lors de la constitution, peut être demandé pendant toute la durée de vie de la société au regard de son caractère informatif. C’est donc la finalité de la demande qui autorise à ne pas la soumettre au délai quinquennal de prescription de droit commun. Pour autant et contrairement à certaines analyses doctrinales, il faut considérer que l’action n’est pas imprescriptible puisqu’une fois la société disparue, elle n’est plus recevable.
Encore une fois, c’est la volonté de transparence et le but de l’action qui permettent de comprendre le raisonnement prétorien. En effet, l’intérêt de rendre des informations accessibles aux tiers disparait en même temps que la société. En l’espèce, la publication du véritable objet social, même des années après, semble bien nécessaire pour assurer la sécurité des actes effectués par la société qui continue de fonctionner.
Cette visée informative transparaît d’ailleurs directement de la lettre de l’article L. 123-5-1 du Code de commerce qui ouvre le droit d’agir à « tout intéressé » et au ministère public et non pas aux seuls associés par exemple. Par cette ouverture, le législateur entendait déjà s’assurer que l’action puisse être exercée aisément en présence d’une inexécution en ne créant pas une action attitrée. Dans le même sens, le non-dépôt au RCS suffit pour agir sans qu’il ne soit nécessaire de caractériser, comme traditionnellement en matière de référé, une urgence, un dommage imminent ou encore un trouble manifestement illicite (V. par ex. art. 872 et 873 du C. proc. Civ.).
Demeure en revanche une interrogation quant au champ d’application véritable de la décision du 25 janvier 2023.
L’arrêt est rendu au visa de l’article R. 123-105 du Code de commerce. Cela démontre que la solution s’applique au dépôt des « actes, délibérations ou décisions modifiant les pièces déposées lors de la constitution ». Cependant, au regard de ses objectifs, le même raisonnement devrait s’appliquer, on l’imagine, au référé prévu à l’article R. 210-18 du Code de commerce qui vise l’hypothèse suivante : « lorsqu’une formalité de publicité ne portant ni sur la constitution de la société ni sur la modification de ses statuts a été omise ou irrégulièrement accomplie ».
Qu’en est-il enfin du dépôt des comptes annuels ? Un arrêt remarqué du 03 mars 2021 (Cass. com. 03 mars 2021, n°19-10086) avait apporté une double précision : la demande d’injonction de dépôt des comptes peut être fondée sur les articles L. 223-23 du Code de commerce et 873 du Code de procédure civile. Surtout, l’action n’est alors pas enfermée dans le délai de prescription triennale de l’article 1844-14 du Code civil.
Peut-on alors considérer que la solution retenue par l’arrêt du 25 janvier 2023 peut être étendue au dépôt des comptes annuels ? Dans l’attente d’une décision claire, il faut pour l’heure imaginer que non tant l’incertitude est de mise. Résonne ici une position de l’ANSA qui estimait, en 2018, « qu’il n’existe pas d’action imprescriptible en droit commercial », ce qui renverrait à l’application du délai quinquennal de prescription car l’injonction n’est pas une action en responsabilité ou en nullité – toutes deux soumises à la prescription triennale de l’article 1844-14 du Code civil – (ANSA, comité juridique, 7 févr. 2018, n° 18-004).
Surtout, on imagine que les objectifs de transparence et d’information des tiers, qui autoriseraient une action pendant toute la durée de vie de la société, doivent être conciliés avec l’article L. 123-22 al. 2 du Code de commerce qui énonce que « les documents comptables et les pièces justificatives sont conservés pendant dix ans ». Comme l’ont relevé différents auteurs, pour des raisons pratiques, c’est peut-être ce délai de 10 ans qui devrait s’appliquer en matière de prescription de l’injonction de déposer les comptes annuels afin de satisfaire l’ensemble des intérêts en présence.