Nullité des décisions collectives en SAS : revirement de jurisprudence

Nullité des décisions collectives en SAS

13 avril 2023

Dans un arrêt du 15 mars 2023, la Haute juridiction procède à un revirement de jurisprudence pour désormais considérer que la violation des règles statutaires définissant le champ des décisions collectives en SAS (Art. L 227-9 al. 1er) est sanctionnée par la nullité à la demande tout intéressé (Art. L. 227-9 al. 4). Il est toutefois nécessaire que la violation soit de nature à influer sur le résultat du processus de décision tout en sachant que la sanction reste facultative.

 

Cass. com. 15 mars 2023, n°21-18324, publié au Bulletin, publié au Rapport.

 

La question des nullités en droit des sociétés est aussi sensible que complexe, qui plus est au sein des SAS. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 15 mars 2023 l’illustre tout en réalisant un tonitruant revirement de jurisprudence qui justifie sa publication au Bulletin et au Rapport annuel.

Vous pouvez retrouver l’arrêt ici

 

FAITS ET PROBLEME DE DROIT 

 

La décision concerne la société Larzul déjà bien connue des spécialistes du droit des sociétés puisqu’elle a donné son nom à un précédent jurisprudentiel abondement commenté (Cass. com.  18 mai 2010, n°09-14855).

Au-delà de cette ironie du sort, un rapide retour sur les faits de l’espèce s’impose.

En l’espèce, par un protocole d’accord du 14 décembre 2004, les associés uniques respectifs de la SAS Larzul et de la société FDG ont convenu, d’une part, d’une augmentation du capital réservée de la société Larzul et, d’autre part de l’acquisition, par la société FDG auprès de son associé unique, d’actions de la société Larzul.

Par des délibérations du 30 décembre 2004, l’associé unique de la SAS Larzul a approuvé l’ensemble des opérations puis cédé, le 31 janvier 2005, un certain nombre d’actions de la société Larzul à la société FDG. Un arrêt irrévocable du 24 janvier 2012 a par la suite annulé les délibérations du 30 décembre 2004 et a constaté la caducité du traité d’apport du 14 décembre 2004.

En conséquence, estimant qu’elle avait été privée de ses droits d’associé depuis le 03 avril 2012 (date des modifications au RCS découlant de la décision du 24 janvier 2012), la société cessionnaire a assigné la SAS Larzul en annulation de toutes les assemblées générales ordinaires et extraordinaires de cette société et de toutes les décisions collectives en résultant à compter de la date de l’arrêt.

La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 15 juin 2021, a déclaré recevable les demandes d’annulation des délibérations de l’assemblée générale de la SAS postérieures à la date du 19 janvier 2013.

Se fondant sur la jurisprudence antérieure, la SAS conteste cette décision et forme un pourvoi en cassation qui invite la Cour de cassation à revenir sur l’interprétation des articles L. 227-9 et L. 235-1 du Code de commerce.

Autrement dit, les décisions collectives prises en violation de clauses statutaires stipulées en application de l’article L. 227-9 alinéa 1er du Code de commerce peuvent-elles annulées ?

 

RAPPEL DU CONTEXTE JURIDIQUE

 

Pour bien comprendre les enjeux de l’arrêt, un rapide retour sur la prise de décision en SAS et sur la nullité des délibérations en droit des sociétés s’impose.

Au sein des sociétés par actions simplifiées, le principe est que les statuts déterminent les décisions qui relèvent de la compétence collective des associés dans les formes et les conditions qu’ils prévoient (art. L. 227-9 al. 1er C. com.). Cependant, cette liberté n’existe pas pour certaines décisions qui, du fait de leur gravité, relèvent nécessairement de cette compétence collective des associés. Le législateur en donne une énumération à l’alinéa 2 de ce même article L. 227-9 (dissolution, transformation, fusion…). Enfin, d’autres décisions ne peuvent être prises, en vertu de la loi, qu’à l’unanimité des associés (ex : clause d’inaliénabilité statutaire Art. L. 227-19 al. 1er C. com.).

C’est donc ce qui ressort de l’article L. 227-9 C.com. reproduit ci-dessous :

« Les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient.

Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d’augmentation, d’amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d’une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés.

(…)

Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé ».

Le dernier alinéa du texte, son quatrième, a été ajouté en 1999 afin d’assurer une sanction efficace aux violations des règles légales en matière de SAS tout en ayant une formulation prêtant à confusion à travers le terme « décisions ». En effet, si le non-respect de l’alinéa 2 de L. 227-9 C. com. entre assurément dans le champ d’application de cet alinéa 4, rien n’est moins sûr pour le premier alinéa du même texte. Une interprétation extensive a pourtant été rapidement évoquée à l’initiative du Professeur Le Cannu. En ce sens, les auteurs du Mémento F. Lefebvre Assemblées Générales estimaient, avant l’arrêt commenté, qu’« il convient, à notre avis, d’adopter une lecture large de cet article et de considérer que la nullité vise également la violation des dispositions statutaires organisant les décisions collectives, à savoir celles qui étendent le champ de compétence des décisions collectives des associés, ainsi que celles relatives aux formes et conditions de validité des décisions collectives »

Cependant l’analyse jusqu’alors retenue en jurisprudence invitait, pour l’hypothèse visée à l’article L. 227-9 alinéa 1er, à s’en tenir au droit commun et donc aux rares nullités prévues à l’article L. 235-1 C. com.

Ainsi, comme le relève le §13 de l’arrêt du 15 mars 2023 : « la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation juge de façon constante qu’il résulte de l’article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d’une société commerciale ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats et que sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d’aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n’est pas sanctionné par la nullité (Com., 18 mai 2010, pourvoi n° 09-14.855, Bull. 2010, IV, n° 93).

Autrement dit, en l’absence d’une disposition prévoyant directement la nullité au sein du Code de commerce, la nullité d’une décision de SAS prise en vertu d’une disposition statutaire semblait difficilement pour ne pas dire impossiblement invocable. En effet, ni les hypothèses de l’article L. 235-1 du Code de commerce, ni les hypothèses visées par l’extension prétorienne du premier arrêt Larzul de 2010 n’étaient réunies. Comme le soulignait le Rapport annuel de la Cour de cassation en 2010, jusqu’alors l’article L. 227-9 al. 1er n’était pas assimilable à une disposition impérative dans un domaine où la loi a abandonné expressément aux statuts le soin de régir une question sur laquelle elle s’abstient de poser elle-même une quelconque règle.

En dépit de quelques décisions de Cour d’appel contraires, c’est ce qui ressort de la jurisprudence tel notamment un arrêt de 2017 cité expressément par la décision du 15 mai 2023. Ainsi, traditionnellement, la solution de l’arrêt Larzul I s’est appliquée aux décisions prises en violation des règles statutaires définissant, en application de l’article L. 227-9, alinéa 1er, du Code de commerce, le champ des décisions collectives dans les sociétés par actions simplifiées en jugeant que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d’une société commerciale ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats (Com., 26 avril 2017, pourvoi n° 14-13.554).

Sur ce point, l’arrêt de mars 2023 reste conforme à l’interprétation traditionnellement réalisée comme le démontre son §14 : « certes, la disposition statutaire qui réserve, dans ces sociétés, certaines décisions à la collectivité des associés, n’aménage aucune disposition impérative, tirant au contraire parti de la liberté que l’article L. 227-9, alinéa 1er, laisse aux rédacteurs des statuts ».

 

LE REVIREMENT JURISPRUDENTIEL

 

Pour autant, après cette confirmation du premier arrêt Larzul, un revirement est bel bien réalisé à travers un argumentaire précis : « l’organisation et le fonctionnement de la société par actions simplifiée relèvent essentiellement de la liberté statutaire. Il en découle que le respect des dispositions statutaires qui, conformément à l’article L. 227-9, alinéa 1er, du code de commerce, déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés et les formes et conditions dans lesquelles elles doivent l’être, est essentiel au bon fonctionnement de la société et à la sécurité de ses actes. Or, les limitations apportées par cette jurisprudence à la possibilité de voir sanctionner par la nullité la méconnaissance de ces dispositions statutaires conduisent à ce que leur violation ne puisse être sanctionnée ».

Deux raisons sont donc mises en avant par la Cour de cassation : assurer l’efficacité des aménagements statutaires tout comme le bon fonctionnement des SAS et la sécurité juridique des actes. Aussi, pour répondre à ces objectifs somme toute logiques, une interprétation nouvelle de l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du Code de commerce est-elle réalisée. Ironiquement, il faut relever que les mêmes arguments étaient déjà utilisés par la Cour de cassation pour justifier la solution de l’arrêt Larzul I de 2010 dans le cadre de son Rapport annuel : lettre des textes et souci de sécurité juridique.

Comme le révèle l’arrêt du 15 mars 2023 :  « ces considérations conduisent la Cour à juger désormais que l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du code de commerce, institué afin de compléter, pour les sociétés par actions simplifiées, le régime de droit commun des nullités des actes ou délibérations des sociétés, tel qu’il résulte de l’article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce, doit être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d’en poursuivre l’annulation ».

Il en ressort qu’il est nécessaire d’apporter une sanction claire et efficace à la violation de l’article L. 227-9 alinéa 1er du Code de commerce. Est ainsi désormais visé par une possible action en nullité, le non-respect des conditions statutaires d’adoption de la décision (ex : consultation écrite, majorité des ¾ des associés présents ou représentés…) comme la violation de la compétence, décidée par les statuts, de la collectivité des associés.

 

PORTEE DU REVIREMENT

 

Dirigeants comme associés de SAS sont donc incités à appliquer les règles prévues statutairement pour l’adoption de certaines dispositions. La solution retenue devrait alors garantir la bonne exécution des règles statutaires à travers une sanction efficace sans pour autant que la loi n’ait été modifiée. Le Professeur Dondero évoque en ce sens une « réécriture prétorienne » de l’article L. 227-9 du Code de commerce.

Cependant, la portée de la décision demeure limitée et ne remet pas en en cause tout l’équilibre législatif (critiqué) et jurisprudentiel connu jusque-là. En effet, l’arrêt du 15 mars 2023 ne vise que les SAS et plus spécifiquement certains aménagements statutaires propres à l’adoption des décisions collectives. La solution nouvelle vaut uniquement pour toute violation de l’alinéa 1er de L. 227-9 C. com. (dont les décisions qui modifient les statuts puisqu’il faut dorénavant voir L. 227-9 C. com. al. 4 comme une disposition expresse du Livre II du C. com.). Comme précédemment évoqué et démontré, la portée très générale de l’arrêt Larzul I n’est donc pas fondamentalement remise en cause par l’arrêt dit Larzul II.

De plus, l’interprétation extensive de l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du Code de commerce est certes valable pour l’avenir mais, comme dans l’arrêt commenté, elle s’applique aux décisions collectives déjà adoptées pour lesquelles une action en nullité ne serait pas prescrite. Un nouveau contentieux va donc apparaître devant les juridictions avec des enjeux pratiques majeurs puisqu’une nullité de décision collective est susceptible de provoquer des nullités en cascade. Il est donc nécessaire de bien mesurer préalablement tous les enjeux avant d’engager une action en justice.

Enfin, attention, en présence d’une violation de l’article L. 227-9 alinéa 1er du Code de commerce, le prononcé de la nullité n’est nullement assuré comme le révèle tant la lettre de la loi que celle de l’arrêt.

En effet, l’alinéa 4 du texte servant de ciment au revirement jurisprudentiel instaure une nullité certes absolue (à la demande de tout intéressé) mais seulement facultative puisque le prononcé de la sanction repose sur une appréciation souveraine des juges du fond. Au-delà d’une éventuelle régularisation avant que le tribunal ne se prononce, il faut comprendre que l’irrespect des dispositions de l’article L. 227-9 du Code de commerce ne sera pas toujours sanctionné par la nullité.

Du reste, l’arrêt du 15 mars 2023 le souligne également en ajoutant un garde-fou à l’intérêt discutable au regard du caractère facultatif de la nullité déjà affirmé expressément par la loi. En effet, la décision se termine en ajoutant qu’il y aura seulement annulation de la décision collective lorsque la violation de l’article L. 227-9 C. com.  « est de nature à influer sur le résultat du processus de décision ». Il faut percevoir ici la volonté prétorienne de « sauver » certaines décisions adoptées en dépit d’une violation statutaire. Transparaît dès lors une volonté prétorienne « de bien faire » et surtout de limiter les probables demandes en annulation à venir. Une appréciation au cas par cas sera donc réalisée et il faudra que le demandeur établisse, nous semble-t-il, que le sort de la décision adoptée aurait pu être différent si les stipulations statutaires avaient été scrupuleusement respectées.

 

Par Quentin Némoz-Rajot