Sans grande surprise, la chambre commerciale de la Cour de cassation aligne sa position sur celle de la troisième chambre civile de la Cour de cassation pour confirmer le revirement de jurisprudence opéré en 2021. En cas de rétractation du promettant, l’exécution forcée des promesses unilatérales est désormais assurée, sauf stipulation contraire, que le contrat soit antérieur ou non au 1er octobre 2016.
Cass. com. 15 mars 2023, n°21-20399, Publié au Bulletin à consulter ici.
Dans un précédent article intitulé « Promesses unilatérales de vente : « faites du neuf avec du vieux » » (à consulter ici), nous vous avions informé du revirement de jurisprudence important réalisé par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt suivant : Cass. civ. 3e, 23 juin. 2021, n° 20-17.554, publié au Bulletin
Très logiquement, la chambre commerciale de la Haute juridiction conforte ce revirement et met fin, on l’espère, aux questions entourant les effets de la rétractation du promettant sous l’empire du droit antérieur à la réforme du droit des contrats de 2016.
Aux termes de cet arrêt du 15 mars 2023 :
« il apparaît nécessaire, compte tenu de l’évolution du droit des obligations, de modifier la jurisprudence de la Cour pour juger, désormais, à l’instar de la troisième chambre civile (3e Civ., 23 juin 2021, pourvoi n° 20-17.554 ; 3e Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-18.514), que le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut pas se rétracter, même avant l’ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire, sauf stipulation contraire ».
Cette fois « la messe est dite » ! Peu importe sa date de conclusion, une promesse unilatérale doit être respectée par le promettant qui ne peut se délier unilatéralement sauf stipulation contraire.
Pour rappel, depuis l’ordonnance du 10 février 2016, la promesse unilatérale de vente est définie à l’article 1124 du Code civil comme « le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ». Non contente d’en donner une définition légale, l’ordonnance en a surtout organisé les effets à l’alinéa 2 de ce même article 1124 qui énonce que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ».
Une exécution forcée de la promesse peut donc être prononcée en justice lorsque le promettant entend revenir sur son engagement qui est réputé définitif dès la conclusion de la promesse. L’alinéa 3 du texte ajoute par ailleurs que « le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul ». La promesse a ainsi une véritable valeur qui la distingue de l’offre de contracter.
LES FAITS ET LES ENJEUX
Comme très souvent, le litige portait sur une promesse unilatérale de vente ayant pour objet des droits sociaux. En droit des sociétés, la promesse unilatérale est un mécanisme bien connu. Elle a le plus souvent vocation à organiser une cession de titres et se retrouve fréquemment dans des pactes d’associés.
Aussi, garantir son efficacité est fondamental pour ne pas porter préjudice à l’ensemble du pacte, à une opération plus globale comme un LBO ou encore à la société elle-même. La solution issue du revirement est donc heureuse pour assurer la sécurité des engagements conclus et leur force obligatoire.
En l’espèce, en 2012 (donc sous l’empire du droit antérieur à la réforme de 2016), un protocole d’accord avait organisé la cession de 47% des actions d’une filiale de la société X. Dans ce même acte, cette société X avait consenti au bénéfice de l’acquéreur une promesse unilatérale de vente portant sur 13% des actions de sa filiale avec une possibilité d’option dans un délai déterminé contractuellement. Le 8 mars 2016, soit avant que le délai d’option prévu ne commence à courir, la société X notifiait à la société bénéficiaire de la promesse qu’elle se rétractait et, le 28 juin de la même année, la société bénéficiaire notifiait à la société X son intention de lever son option. Elle demanda par la suite l’exécution forcée de la promesse qui lui fut refusée par la Cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 06 juillet 2021.
A l’appui de son raisonnement, la Cour d’appel de Rennes reprenait la solution très critiquée de la célèbre jurisprudence Consorts Cruz (Cass. civ. 3ème, 15 déc. 1993, n° 91-10199) selon laquelle : la levée de l’option par le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente postérieurement à la rétractation du promettant excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir, de sorte que la réalisation forcée de la vente ne pouvait être ordonnée.
Toutefois, à l’instar de la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans deux arrêts abondamment commentés de 2021 (3e Civ., 23 juin 2021, pourvoi n° 20-17.554 ; 3e Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-18.514), dans son arrêt du 15 mars 2023, la chambre commerciale de Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel pour procéder à un revirement de jurisprudence attendu.
LA SOLUTION
Les motifs de l’arrêt sont intéressants et permettent de comprendre l’analyse suivie et l’harmonisation réalisée. Après avoir rappelé la solution controversée tirée de la jurisprudence dite Cruz, La Haute Juridiction démontre qu’une promesse unilatérale de vente est plus engageante qu’une simple offre de vente. Surtout, et contrairement aux arrêt de la troisième chambre civile de 2021, les hauts magistrats insistent sur la réforme du droit des contrats opérée en 2016 :
« le législateur est intervenu, par l’ordonnance du 10 février 2016, non amendée sur ce point par la loi de ratification du 20 avril 2018, pour modifier la sanction de la rétractation illicite du promettant, en prévoyant à l’article 1124, alinéa 2, du code civil que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis. Si, conformément à son article 9, les dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016 ne sont applicables qu’aux contrats souscrits postérieurement à son entrée en vigueur, il apparaît nécessaire, compte tenu de l’évolution du droit des obligations, de modifier la jurisprudence de la Cour pour juger, désormais, à l’instar de la troisième chambre civile (3e Civ., 23 juin 2021, pourvoi n° 20-17.554 ; 3e Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-18.514), que le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut pas se rétracter ».
Comme l’avance M. Mortier dans son commentaire de la décision, « l’arrêt de la chambre commerciale n’est pas une pâle copie de celui rendu avant elle par la troisième, mais est nettement plus charpenté ». L’inopportune référence aux obligations de faire réalisée en 2021 est abandonnée et le revirement clairement assumé.
Au-delà de la force obligatoire tirée de l’ancien article 1134 du Code civil au visa duquel l’arrêt est rendu, il est expressément fait mention de l’évolution législative retenant une position contraire à la jurisprudence Cruz. La volonté d’adopter une solution uniforme est explicite, peu importe la date de conclusion de la promesse et donc le droit applicable. Soulignons tout de même, à l’image de la Cour régulatrice, que l’article 1124 du Code civil n’est bien entendu pas applicable aux promesses conclues avant le 1er octobre 2016. Dans le même ordre d’idée, s’il est évident que la réforme a incité au revirement, il ne s’agit pas de l’appliquer à titre rétroactif ou encore par anticipation. Il ne se s’agit que d’une justification démontrant l’harmonisation réalisée car la solution prétorienne est avant tout fondée juridiquement sur l’engagement définitif du promettant lors de la conclusion de la promesse et sur le respect des engagements contractuels.
En clair, désormais, la rétractation du promettant est inefficace qu’elle intervienne avant ou pendant le délai d’option puisque le consentement du promettant est définitif dès la conclusion de la promesse.
Cependant, comme le précisaient déjà les arrêts de 2021, il est licite de prévoir contractuellement le contraire et d’ainsi écarter l’exécution en nature de la promesse en cas de rétractation. Néanmoins pareille stipulation paraît bien utopique dans les promesses conclues avant le 1er octobre 2016 puisque la position jurisprudentielle était explicitement en défaveur de l’exécution forcée de la promesse. Aussi, était-il rare de préciser contractuellement une sanction déjà applicable par défaut, à savoir une réparation par équivalent.
APPLICATION RETROACTIVE DU REVIREMENT
L’une des interrogations soulevées par le revirement réalisée en 2021 résidait dans sa régularité. Si la Cour de cassation prend très logiquement soin de ne pas appliquer expressément le nouvel article 1124 du Code civil, il était possible de douter de l’application rétroactive du revirement à la situation jugée.
Faut-il moduler dans le temps l’application de la nouvelle solution pour les promesses antérieures au 1er octobre 2016 ? C’est l’un des arguments avancés par la promettante qui considérait que la solution jurisprudentielle nouvelle ne pouvait s’appliquer de façon immédiate à un litige sans porter une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe de sécurité juridique ainsi qu’au droit à un procès équitable et au droit au respect des biens, tels que garantis par l’article 6 §1 de Convention de sauvegarde des de l’Homme et des libertés fondamentales et l’article 1er du Protocole n°1 à cette convention. On peut être surpris par une telle argumentation puisque l’arrêt Cruz n’était pas gravé dans le marbre de la loi et ne constituait donc pas une solution acquise pour les justiciables.
En réponse, à nouveau, la Cour de cassation renforce la sécurité juridique et la force obligatoire des contrats. Elle relève que « les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante (CEDH, Unédic c. France, n° 20153/04, § 74, 18 décembre 2008 ; CEDH, Legrand c. France, n° 23228/08, § 36, 26 mai 2011 ; CEDH, Allègre c. France, n° 22008/12, § 52, 12 juillet 2018) ».
Elle poursuit en ajoutant qu’« une évolution de jurisprudence n’est pas en soi contraire à une bonne administration de la justice, dans la mesure où l’absence d’une approche dynamique et évolutive serait susceptible d’entraver tout changement ou amélioration (CEDH, Atanasovski c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », n° 36815/03, § 38, 14 janvier 2010 ; Legrand c. France, précité, § 37 ; Allègre c. France, précité, § 52) ».
Aussi, la promettante ne pouvait-elle se prévaloir d’un droit définitivement acquis et espérer une application du revirement uniquement pour l’avenir. Comme le démontre la Haute juridiction, la solution retenue ne prive aucunement la société X du droit à un procès équitable d’autant que le revirement n’était pas imprévisible puisqu’ « une très grande majorité de la doctrine l’appelait de ses vœux bien avant la conclusion du protocole du 21 juin 2012 et la réforme du droit des contrats du 10 février 2016, intervenue antérieurement à la rétractation par la société X de sa promesse, qui y a mis fin pour les contrats conclus à compter de son entrée en vigueur, confirmant ainsi les doutes préexistants quant au bien-fondé, et donc au maintien, de la jurisprudence antérieure ».
QUE RETENIR ?
Pour les promesses antérieures au 1er octobre 2016
- L’arrêt du 15 mars 2023 conforte le revirement opéré en 2021 et harmonise le sort de la rétractation du promettant peu importe la date de conclusion de la promesse.
- Il est donc opportun de respecter la parole donnée lors de la conclusion de la promesse.
- La solution prétorienne est d’application rétroactive pour toutes les promesses unilatérales conclues avant le 1er octobre 2016. On soulignera ici que plus le temps passe moins il existe de promesses soumises au droit antérieur ce qui réduit l’ampleur du revirement.
- L’arrêt, comme ses prédécesseurs de 2021, traite d’une promesse unilatérale de vente mais on peine à imaginer la Haute juridiction ne pas appliquer sa solution à toutes les promesses unilatérales comme par exemple la promesse unilatérale de bail.
- Le moment de la rétractation est sans incidence sur l’analyse juridique à retenir. Peu importe donc que la rétractation soit réalisée avant ou pendant le délai d’option.
- Il est possible d’écarter contractuellement l’exécution forcée.
- La question de la vente du bien objet de la promesse n’a guère été traitée en jurisprudence. On peut imaginer un alignement avec la position retenue à l’article 1124 alinéa 3 du Code civil et considérer que l’exécution forcée devrait être écartée en cas de vente du bien objet de la promesse à un tiers de bonne foi. Aussi, plutôt que de se rétracter, un promettant aurait tout intérêt à céder le bien à un tiers à un prix plus élevé qui permettrait de compenser les dommages et intérêts à verser au bénéficiaire lésé de la promesse.
Pour les promesses postérieures au 1er octobre 2016 et donc soumises à l’article 1124 du Code civil
- La question de la rétractation avant que ne débute le délai d’option n’est pas visée par l’article 1124 CC. On peut imaginer que la solution présentée du revirement s’applique et espérer un alignement du droit nouveau avec le droit ancien. Toutefois, par sécurité, l’insertion d’une clause d’exécution forcée est conseillée.
L’article 1124 CC ne prévoit pas la licéité d’une dérogation contractuelle à l’exécution forcée affirmée en cas de rétractation du promettant. A nouveau, on peut imaginer un alignement entre droit ancien et droit nouveau qui permettrait de stipuler le contraire en application du principe de liberté contractuelle. En l’absence d’une décision contraire, on peut imaginer que l’alinéa 2 de l’article 1124 du Code civil n’est pas d’ordre public.