Capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social : allègement des règles de régularisation

capitaux propres

7 juin 2023

La loi DDADUE 3 du 9 mars 2023 modifie les règles de régularisation lorsque les capitaux propres d’une SARL ou d’une société par actions sont inférieurs à la moitié du capital social (Art. L. 223-42 et L. 225-48 du Code de commerce).

 

La loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (DDADUE 3) comporte différentes mesures propres au droit des sociétés (Consultez la loi ici) au sein d’un chapitre II intitulé « Dispositions en matière de droit des sociétés » (art. 7 à 14).

Plus précisément, les articles 7 à 10 de la loi ont trait au droit financier et seuls les articles 11 à 14 visent directement la matière sociétaire.

Nous vous présentons ici les modifications apportées par l’article 14 de la loi lorsque, hors procédure collective, les capitaux propres d’une société commerciale (SARL ou société par actions) deviennent inférieurs à la moitié du capital social. Le législateur procède ici à une « dé-surtransposition » sans passer par une ordonnance. A noter également que les modifications apportées sont entrées en vigueur le 11 mars 2023 mais que nous ne connaissons toujours par les seuils pour bénéficier pleinement de la réforme. Un décret est encore attendu…

Sont visés les articles L. 223-42 et L. 225-248 du Code de commerce qui traitent de l’hypothèse suivante (en SARL et en sociétés par actions) : lorsque du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, les associés décident, dans les quatre mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, s’il y a lieu à dissolution anticipée de la société.

S’ils décident de ne pas procéder à la dissolution de la société, ils doivent alors régulariser la situation au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue. Ce délai doit alors être calculé à partir de l’approbation des comptes ayant fait apparaître les pertes (Rép. min. à QE no 10735, JO Sénat Q. 29 oct. 1971, p. 1840).

Comme le révèle l’étude d’impact, « Cette règle ayant pour objet de maintenir les capitaux propres d’une société au moins à hauteur de la moitié du capital social s’explique par la nécessité de maintenir un gage suffisant aux créanciers et par la fourniture d’une information crédible aux tiers ». Les allégements proposés s’inscrivent dans un contexte européen disparate puisque certains Etats, comme l’Allemagne, le Royaume Uni (avant leur sortie de l’Union européenne) ou les Pays-Bas, ne prévoient pas l’hypothèse d’une dissolution anticipée. Aussi, l’objectif principal poursuivi est-il de limiter, en droit français, la menace d’une dissolution anticipée de la société tout en incitant à reconstituer les capitaux propres. Comme le rappelle l’étude d’impact précitée, « la rédaction actuelle des articles L. 225-248 et L. 223-42 du Code de commerce appliquent une vision trop stricte de l’article 58 de la directive (UE) 2017/1132 » qu’il convenait donc de corriger.

 

Les alternatives de reconstitution des capitaux propres clarifiées

 

Jusqu’à présent, pour régulariser la situation, la société devait réduire son capital « d’un montant au moins égal à celui des pertes qui n’avaient pu être imputées sur les réserves, si, dans ce délai, les capitaux propres n’avaient pas été reconstitués à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social ». Une interprétation au sens strict, laissait croire que la réduction du capital avec apurement de la totalité des pertes n’était prévue que si la société n’avait pas reconstitué ses capitaux propres à l’expiration du délai légal. La faculté de reconstituer les capitaux propres par voie de réduction du capital ne portant que sur la somme nécessaire pour que le montant des pertes n’excède pas la moitié du capital était plus incertaine. Les textes sont réécrits pour reconnaître plus lisiblement cette possibilité.

Ainsi désormais, les deux articles précités du Code de commerce prévoient plus clairement une alternative : reconstituer les capitaux propres ou réduire le montant du capital social afin que les capitaux propres soient au moins égaux à la moitié du capital social.

L’alinéa 2 de l’article L. 225-248 précité est donc modifié comme suit « si la dissolution n’est pas prononcée, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de reconstituer ses capitaux propres à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social ou, sous réserve de l’article L. 224-2, de réduire son capital social du montant nécessaire pour que la valeur des capitaux propres soit au moins égale à la moitié de son montant ».

 

Le risque de dissolution repoussé pour certaines sociétés

 

Lorsque la continuité de la société a été décidée et que la situation n’a pas été régularisée dans le délai déterminé par les deux textes (clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue), la loi offre désormais une nouvelle porte de sortie afin d’écarter le risque de dissolution judiciaire à la demande de tout intéressé. C’est un nouveau délai de deux exercices, certes conditionné, qui est offert aux associés pour régulariser la situation et assurer la pérennité de la société. L’innovation réside essentiellement dans la possibilité de réduire le capital social jusqu’à un certain montant sans pour autant que les capitaux propres ne redeviennent égaux ou supérieurs à la moitié du capital social.

Un alinéa (le 4ème) est dès lors ajouté aux deux articles précités du Code de commerce :

« Si, avant l’échéance mentionnée au deuxième alinéa du présent article, les capitaux propres n’ont pas été reconstitués à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social alors que le capital social de la société est supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d’Etat en fonction de la taille de son bilan, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant cette échéance, de réduire son capital social, sous réserve de l’article L. 224-2, pour le ramener à une valeur inférieure ou égale à ce seuil ».

Autrement dit, tout intéressé ne pourra plus demander en justice la dissolution de la société comme le prévoyait la législation antérieure. Sur ce point, rappelons tout de même que la dissolution était loin d’être automatique puisqu’elle devait être demandée en justice par tout intéressé, qu’elle ne pouvait être prononcée en cas de régularisation intervenue entre temps ou encore qu’il était possible, pour les juges, d’accorder à la société un délai de régularisation pouvant aller jusqu’à 6 mois.

Dorénavant, pour les sociétés entrant dans le champ d’application encore indéterminé du nouveau texte, la sanction de la dissolution est remplacée par une obligation d’apurer les pertes à travers une réduction du capital social jusqu’à un minimum encore à déterminer. Si cette réduction est réalisée dans le nouveau délai imparti, la dissolution devient alors impossible.

C’est donc une nouvelle étape qui est ajoutée pour inciter les associés à reconstituer les capitaux propres à travers l’octroi d’un délai supplémentaire de deux nouveaux exercices et sans que les capitaux propres ne doivent obligatoirement atteindre une valeur au moins égale à la moitié du capital social. Toutefois, il faudra attendre un décret en Conseil d’Etat pour connaître le seuil de capital social qui permettra de bénéficier de cette astucieuse incitation. Il est donc important de retenir que toutes les sociétés ne pourront bénéficier du nouvel alinéa 4.

Malheureusement, peu d’informations ressortent des travaux parlementaires afin de déterminer le seuil en question. Les informations les plus précisent figurent dans l’étude d’impact qui dévoile que « ce seuil apparaît devoir dépendre de la taille de la société, et notamment celle de son bilan. C’est la raison pour laquelle il est proposé de renvoyer à un décret en Conseil d’Etat afin de travailler plus finement à la détermination de différents seuils selon la taille de la société ».

Enfin, ajoutons qu’en l’absence d’une réduction du capital à l’expiration de ce nouveau délai, la dissolution pourra, de nouveau, être prononcée à la demande de tout intéressé en application de l’alinéa 6 des textes susvisés. Toutefois, comme auparavant, le tribunal pourra encore accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation et il ne pourra pas prononcer la dissolution, si, au jour où il statue, la régularisation a eu lieu.

 

Au-delà d’écarter les risques déjà faibles d’une dissolution, pour justifier cette réforme dont la simplicité ne saute pas aux yeux, l’étude d’impact dévoile différents arguments :

« cette obligation de réduction de capital demeure incitative pour les actionnaires, dont le capital social serait réduit au minimum. Elle fournit également un signal et une information importante pour les tiers et pour les créanciers, qui auront la connaissance d’un capital social très réduit. La réduction forcée du capital social s’inscrit dans la logique de la dernière réforme des procédures d’insolvabilité. L’objectif est de permettre que le capital social soit réduit à une valeur permettant de ne pas donner aux tiers l’idée d’une surface financière qui soit trop décorrélée de la réalité ».

 

Par Quentin Némoz-Rajot