La 2e chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 octobre 2023 (Cass. Civ. 19 octobre 2023, n° 21-20.366, publié au Bulletin), a jugé que les dividendes versés par une société d’exercice libérale (SEL) à une société de participations financières de profession libérale (SPFPL) revêtait un caractère professionnel devant entrer dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale du travailleur indépendant exerçant au sein de la SEL.
Dans les faits qui ont donné lieu à l’arrêt, la Caisse autonome des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes (CARCDSF) a intégré dans l’assiette des cotisations d’assurance vieillesse dues par un chirurgien-dentiste le montant des dividendes versés par la société d’exercice libéral, au sein de laquelle il exerce son activité professionnelle, à la société de participations financières de profession libérale, dont il détient la totalité du capital à parts égales avec son épouse.
Le chirurgien-dentiste a saisi d’un recours une juridiction chargée du contentieux de la Sécurité sociale. La Cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 11 juin 2021, n° 20/09464) avait refusé de faire droit à la demande du praticien au motif que :
- le chirurgien-dentiste est le seul associé professionnel en exercice au sein de la SEL et le seul à générer des revenus permettant de constituer les dividendes distribués à la société de participations financières, dans laquelle lui et son conjoint sont les deux seuls détenteurs de parts sociales ;
- les dividendes correspondent à la rémunération d’un travail plutôt qu’à des revenus d’un patrimoine ;
- il importe peu qu’au regard de la réglementation applicable, la société de participations financières soit dotée d’une personnalité morale distincte et soit soumise à l’impôt sur les sociétés et non à l’impôt sur le revenu.
La Cour de cassation valide la décision de la Cour d’appel aux termes du considérant de principe suivant :
« les bénéfices de la société d’exercice libéral, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient le capital de la société d’exercice libéral ».
Les juges ne se sont pas placés pas sur le fondement de la fraude à la loi ou de l’abus de droit pour écarter une interposition d’une holding qui serait artificielle mais ont fait une application objective de l’article L 136-1, III du code de la sécurité sociale pour intégrer les dividendes dans l’assiette des cotisations.
Cette solution nous paraît éminemment contestable en ce qu’elle fait abstraction de la personnalité morale de la SPFPL, qu’elle repose sur une confusion entre les bénéfices de la société et les sommes distribuées et qu’elle aboutit à une soumission à des cotisations de sommes non effectivement appréhendées.
Son application sera source de nombreuses difficultés et incertitudes. En effet, la Cour de cassation valide un raisonnement in concreto. Elle s’appuie en particulier sur le fait que le praticien est le seul associé professionnel de la structure d’exercice et que la SPFPL est détenue par son épouse et lui et, semble-t-il, sur la circonstance que les bénéfices réalisés auraient davantage résulté de l’activité de l’intéressé que des investissements.
Il est possible de se demander si une position identique devrait être retenue dans des situations de fait différentes.
Le lien entre dividende et rémunération aurait-il été retenu dans l’hypothèse où plusieurs associés exercent dans une structure détenue par une SPFPL dont la détention capitalistique ne reflète pas le temps de travail effectif de chacun ?
De même, la nature de l’activité (plus ou moins intellectuelle, plus ou moins capitalistique) a-t-elle eu une influence sur le raisonnement ? Peut-on étendre celui-ci à des structure où l’activité nécessite des investissements plus importants ?
Enfin comment gérer l’hypothèse d’une redistribution totale ou partielle par la SPFPL à ses propres associés ? Comment éviter un phénomène de double soumission du même flux à des cotisations et prélèvements ?
Devant ces quelques difficultés pratiques qui ne sont que des illustrations, il faut espérer qu’en cette période d’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale, le Législateur se saisisse de la question pour mettre fin aux incertitudes et adopter une position claire.
Par Aurélie Carrara