La transformation d’une SARL en SAS n’est opposable à l’Administration fiscale qu’à compter de sa publication. En conséquence, l’accomplissement des formalités de publicité doit être effectué avant de réaliser la cession des titres pour bénéficier des implications fiscales tirées du changement de forme sociale.
CA Lyon, 1re chambre civile A, 6 juillet 2023 n°20/05110 à consulter ici
Changer de forme sociale au cours du fonctionnement de la société est courant. A ce titre, la transformation régulière d’une société en une société d’une autre forme, qu’elle soit civile ou commerciale, n’entraîne aucunement la création d’une personne morale nouvelle. Cependant, comme le démontre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 06 juillet 2023, il convient de se montrer particulièrement attentif au respect des formalités de publicité afin de bénéficier pleinement des conséquences de la transformation, notamment en matière de droits d’enregistrement.
Les faits et la chronologie
En l’espèce, la SARL T fut transformée en SAS avec effet immédiat à la suite d’un vote en assemblée générale extraordinaire (AGE) des associés en date du 24 juillet 2012. Aux termes de l’arrêt, « le même jour a été ouvert au nom de la société T un registre des mouvements de titres ». Le lendemain de l’AGE, comme constaté dans le nouveau registre des mouvements de titres, la cession de l’intégralité de la société T à la société C était réalisée. La déclaration de cession de droits sociaux fut ensuite déposée le 03 août 2012 auprès du SIE entrainant le paiement, par la société C, de droits d’enregistrement pour un montant de 37.303 €.
Dans un second temps, le 07 août 2012, le procès-verbal de l’assemblée ayant décidé de la transformation était enregistré auprès du SIE puis publié dans un journal d’annonces légales le 1er septembre 2012. Par la suite, ce même procès-verbal était déposé au greffe du Tribunal de commerce de Lyon le 25 septembre 2012 et, enfin, faisait l’objet d’une publication au BODACC le 25 octobre de la même année.
La rectification
En décembre 2015, l’Administration a adressé une proposition de rectification contradictoire à la société C. Elle considérait que la transformation en SAS lui était inopposable à la date de la cession. Autrement dit, la cession des titres devait être soumise aux droits d’enregistrement applicables aux cessions de parts de la SARL et non d’actions de SAS. Elle demande alors le paiement de droit supplémentaires à hauteur de 75.455€ et d’intérêts de retard pour 10.564€. En effet, le montant des droits d’enregistrement n’est pas le même selon la nature des titres cédés : parts sociales ou actions.
Ainsi, pour une vente de parts sociales réalisée avant le 1er août 2012, l’opération était soumise à un droit d’enregistrement dont le taux était fixé comme suit : 3 % pour la fraction d’assiette inférieure à 200 000 €, 0,5 % pour la fraction comprise entre 200 000 € et 500 000 000 € et 0,25 % pour la fraction excédant 500 000 000 €. En droit positif, en vertu de l’article 726 I 1bis du CGI, le taux est désormais de 3% avec application, sur la valeur de chaque part sociale, d’un abattement égal au rapport entre la somme de 23 000 € et le nombre total de parts sociales de la société. A l’inverse, pour les cessions d’actions, le taux est de 0,1% (art. 727 I 1° CGI).
En l’espèce, l’opportunité fiscale de procéder à une transformation de la SARL en SAS avant la cession apparaissait évidente. Classiquement, réaliser la transformation avant cession d’une société dont le capital social est composé de parts sociales en une société par actions constitue un stratagème appréciable pour les cessionnaires afin de contourner la distinction fiscale inopportune. Aussi, après rejet de sa réclamation, la société C a-t-elle assigné l’Administration devant le Tribunal judiciaire de Lyon pour obtenir la décharge des droits d’enregistrement pour la somme de 86.019€. La juridiction de première instance a fait droit à sa demande et le Directeur général des finances publiques a alors interjeté appel. Dans son arrêt en date du 6 juillet 2023, la Cour d’appel de Lyon lui donne raison à travers une décision qui invite les praticiens à la plus grande vigilance en matière de transformation avant cession.
La solution
Au préalable, rappelons qu’une transformation avant cession ne porte pas en elle-même le germe d’un abus de droit au sens de l’article 64 du LPF (V. not. R. Vabres, Droit fiscal 2023, Dalloz, coll. Hypercours, 3e éd., 2023, n°1484). Selon la Haute juridiction, une opération de transformation en SA suivie de la cession des titres ne peut être analysée comme un montage constitutif d’un abus de droit, sans constater que la société transformée était revenue à sa forme antérieure de SARL (Cass. com., 10 déc. 1996, n°94-20.070, RMC-France, D. 1997, som., p. 229, obs. J.-C. Hallouin, JCP E 1997, II, 923, note H. Hovasse, add. BOI-ENR-DMTOM-40-10-10, n°140). Dans un autre arrêt confirmant la licéité d’une transformation avant cession, la Cour de cassation a estimé que lorsque la cession de droits sociaux est subordonnée à la transformation préalable de la forme de la société (SARL en SA), cette clause présente le caractère d’une condition suspensive, excluant toute perception de l’impôt tant que la condition n’est pas réalisée. En revanche, après la transformation, le droit de mutation peut être perçu en fonction de la nature des biens transmis ((Cass. com., 9 févr. 1999, n° 97-10.907, Dr. sociétés 1999, n° 122, obs. J.-L. Pierre ; Dr. fisc. 1999, n° 27, comm. 550).
Il est vrai qu’une transformation décidée par les associés entraîne différents effets qui ne se limitent pas à la question des droits d’enregistrement. Aux dires de la Cour de cassation dans l’arrêt précité de 1996, « la transformation régulière et effective d’une société à responsabilité limitée en société anonyme, décidée par les associés à la majorité requise pour la modification des statuts entraîne des effets multiples et est une opération nécessairement distincte de la cession ultérieure des actions par les associés individuellement ». Cependant, et comme le démontre l’arrêt commenté, encore faut-il accomplir des formalités de publicité pour rendre opposable la transformation à l’Administration.
Pour faire droit à la demande de l’Administration, les magistrats lyonnais considèrent que l’inscription sur le registre des mouvements de titres indiquant qu’il s’agissait d’une cession d’actions de SAS ne rend pas la transformation de la société opposable à l’Administration puisqu’il s’agit de deux opérations distinctes. Il est relevé que la transformation n’avait pas encore été publiée au moment de la cession et « que l’Administration était dans l’impossibilité d’avoir connaissance de la transformation de la société T avant, au plus tôt, la publication du procès-verbal de délibération de l’assemblée générale extraordinaire de transformation qui n’a été enregistré auprès du SIE que le 07 août 2012 ». La cession devait donc être considérée comme une cession de parts sociales et taxée en conséquence. D’autant plus qu’il est ajouté que le rapport du commissaire à la transformation avait certes été déposé au greffe du tribunal de commerce antérieurement à la vente, mais qu’il ne permettait pas à l’administration fiscale d’être informée de la nouvelle forme qui n’avait pas encore été adoptée.
Dans l’attente d’un éventuel arrêt de la Cour de cassation, une extrême attention doit donc être apportée au respect et à l’ordre d’accomplissement des formalités rituelles : « d’abord la transformation et sa publicité, toujours, puis la cession et sa publicité, toujours ! ». En l’absence d’une disposition légale l’affirmant expressément, un temps certain doit désormais s’écouler entre la transformation suivie de sa publicité et la cession des titres.
Une solution critiquable
Pour éviter toute difficulté, il est donc indispensable de rendre la transformation opposable à l’administration. Cependant, l’analyse suivie par la Cour d’appel de Lyon interroge. Le Professeur Dondero décèle « une appréciation erronée retenue par la Cour d’appel » (B. Dondero, Cession des titres d’une SARL transformée en SAS : la question saugrenue de l’opposabilité au fisc », BRDA, 21/13, n°25), là où le Professeur Vabres remarque « un arrêt critiquable » (R. Vabres, note ss. CA Lyon, 6 juillet 2023, BJS, nov. 2023, p.34). En effet, la Cour d’appel se fonde sur l’article L. 123-9 du Code de commerce et notamment son alinéa 1er aux termes duquel : « la personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l’exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s’en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre ».
Si de toute évidence le fait générateur de l’impôt est bien la date de la cession, on peut s’interroger sur la date d’opposabilité à retenir à l’égard de l’Administration. En effet, la société C avait publié la transformation bien avant la proposition de rectification contradictoire et une cession d’actions a bien été réalisée. Certes, l’arrêt énonce « qu’à la date de la cession comme à la date de la présentation à l’enregistrement des déclarations de cession, la transformation de la SARL T en société par actions simplifiée n’était pas opposable à l’administration fiscale qui était dans l’impossibilité d’en avoir connaissance ». Mais est-ce bien ces dates qui doivent être retenues dans le cadre d’une rectification et, au demeurant, laquelle de ces deux dates faut-il faire primer si la publicité est réalisée entre les deux ?
Dans la même veine, le raisonnement suivi paraît remettre en cause le délai d’un mois, certes non respecté en l’espèce, pour procéder aux mesures de publicité déterminé par l’article R. 123-66 du Code de commerce. Si ce délai est respecté, la transformation cession ne devrait-elle pas être opposable à l’administration ? Une réponse positive réduirait drastiquement la portée de la décision et s’avèrerait rassurante. Néanmoins, la lettre de l’arrêt ne semble pas aller en ce sens.
Par ailleurs, l’alinéa 3 de l’article L. 123-29 du Code de commerce pourrait justifier une autre lecture de la situation. Ce texte précise que les tiers comme les administrations qui avaient personnellement connaissance des faits et actes non publiés ne peuvent se prévaloir de l’absence de publication. Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de le rappeler dans différentes affaires (Pour un changement de la date de clôture de l’exercice d’une société : CE, 3e et 8e ch., 24 juill. 2019, n°416243 et n°416244. Pour un changement d’adresse du siège social d’une société : CE, 11 mai 2022, n°443029). Or, en l’espèce, les magistrats remarquent que « la déclaration de cession des droits sociaux déposée le 3 août 2012 ne fait aucunement état de la transformation préalable de la société TDA International, la société T y étant présentée comme une société par actions simplifiée ». Informer d’une vente d’actions de SAS et non de parts sociales d’une SARL paraît pourtant éclairant et suffisant. Pourquoi alors ne pas reconnaitre que l’Administration avait connaissance de la transformation qui devrait être taxée conformément à la volonté des parties comme à la réalité en dépit de la non-réalisation des formalités de publicité ?
Face à toutes ces interrogations, une décision de la Haute juridiction est attendue avec insistance.