Loi DDADUE du 22 avril 2024 et droit des sociétés

La loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole (dite loi DDADUE 2024) vient d’être publiée au Journal officiel.

Elle comporte deux articles propres au droit des sociétés sur lesquels nous revenons brièvement.

 

Loi à consulter ici

 

A l’issue d’une procédure accélérée en dépit d’un passage devant la Commission mixte paritaire, la loi dite DDADUE a été adoptée le 22 avril 2024. Comme le révèle l’indélicat intitulé du texte, il s’agit d’une loi « fourre-tout » qui intervient dans de nombreux domaines : économie, finances, transition écologique, droit pénal, droit social ou encore agriculture. L’objectif de la loi est avant tout de transposer plusieurs directives et de mettre en cohérence le droit français avec des règlements et des directives.

Deux articles de la loi sont cependant propres au droit des sociétés : les articles 4 et 5. En voici les grands traits.

 

1. L’article 4 sur la ratification de l’ordonnance du 24 mai 2023 sur les fusions transfrontalières

 

L’article 4 de la loi réalise la ratification de l’ordonnance n°2023-393 du 24 mai 2023 portant réforme du régime des fusions, scissions, apports partiels d’actifs et opérations transfrontalières des sociétés commerciales.

Pour plus d’informations sur cette ordonnance, nous vous renvoyons vers la lecture (ici) de notre article présentant cette réforme des opérations transfrontalières.

Cependant, la loi du 22 avril va plus loin qu’une simple ratification puisqu’elle vient compléter et parfois corriger le texte initial (par exemple : à l’article L. 236-31 du Code de commerce, la référence « 2119 » est remplacée par la référence « 119 » pour corriger une erreur de plume). L’objectif est de compléter l’ordonnance de 2023 par des modifications formelles du Code de commerce. Ces dernières sont déjà entrées en vigueur.

Nous relevons ici certaines de ces modifications sans en réaliser un inventaire à la Prévert.

L’article L. 225-124 du Code de commerce est désormais rédigé comme suit :

« Toute action convertie au porteur ou transférée en propriété perd le droit de vote double attribué en application des articles L. 225-123 et L. 22-10-46. Néanmoins, le transfert par suite de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux ou de donation entre vifs au profit d’un conjoint ou d’un parent au degré successible ne fait pas perdre le droit acquis et n’interrompt pas le délai mentionné au premier alinéa de l’article L. 225-123 et à l’article L. 22-10-46. Il en est de même, sauf stipulation contraire des statuts, en cas de transfert par suite d’une fusion ou d’une scission d’une société actionnaire ou d’un apport partiel d’actifs soumis au régime des scissions par la société actionnaire.

La fusion ou la scission de la société est sans effet sur le droit de vote double qui peut être exercé au sein de la ou des sociétés bénéficiaires, si les actions de celles-ci en bénéficient.

En cas de fusion, de scission ou d’apport partiel d’actifs soumis au régime des scissions, les droits de vote double dans des sociétés tierces dont bénéficie la société absorbée, la société scindée ou la société qui apporte une partie de son actif comprenant ces droits sont maintenus au profit de la société absorbante ou de la société bénéficiaire de la scission ou de l’apport partiel d’actifs ou, le cas échéant, au profit de la société nouvelle résultant de l’opération ».

Il s’agit d’une heureuse clarification du régime du droit de vote double qui souligne expressément que les apports partiels d’actifs soumis au régime des scissions se voient appliquer les règles des scissions quant au sort des droits de vote double. Il y a donc un maintien des droits de vote double en cas d’apport partiel d’actifs portant sur des actions auxquelles sont attachés des droits de vote double.

Les scissions entre SARL sont désormais expressément visées à l’article L. 236-20 du Code de commerce, ce qui permet de soumettre ces opérations au régime des scissions applicables jusque-là entre sociétés par actions ou entre sociétés par actions et SARL. C’est finalement le rétablissement d’un dispositif en vigueur antérieurement à l’ordonnance de 2023.

On relèvera également que la définition de l’apport partiel d’actifs transfrontalier est revue et clarifiée à l’article L. 236-48 du Code de commerce. Ainsi, « l’apport partiel d’actifs transfrontalier est l’opération par laquelle une société par actions ou une société à responsabilité limitée ayant son siège social en France participe à une opération d’apport d’une partie de l’actif et du passif avec une ou plusieurs sociétés relevant du champ d’application du paragraphe 1 de l’article 160 ter de la directive UE 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés et relevant du droit de l’un ou de plusieurs autres Etats membres de l’Union européenne ». Il est aussi ajouté un nouvel alinéa au texte pour indiquer que lorsque l’apport ne porte que sur une partie de son actif, la société apporteuse et les sociétés bénéficiaires peuvent décider de le soumettre au régime de la scission transfrontalière ou à celui de l’apport partiel d’actifs de droit interne.

Enfin, on signalera le rétablissement d’autres droits applicables antérieurement à l’ordonnance de 2023. En effet, la loi du 22 avril 2024 supprime l’exigence, lors des opérations mentionnées à l’article L. 236-28, des deux rapports visés à l’article L. 236-10 (rapport des commissaires à la fusion et rapport sur la valeur des apports en nature ou sur les avantages particuliers). L’ordonnance avait seulement permis de se passer du rapport des commissaires à la fusion. En outre, est rétablit la faculté de soumettre au régime simplifié les apports partiels d’actifs entre deux sociétés sœurs détenues en totalité par une même société.

 

2. L’article 5 : mixité des instances de direction par transposition de la directive women on boards

 

Dans un délai de 6 mois, le Gouvernement est autorisé à transposer, par voie d’ordonnance, la directive (UE) 2022/2381 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022 relative à un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes parmi les administrateurs des sociétés cotées et à des mesures connexes et de prévoir les dispositions de coordination et d’adaptation de la législation liées à cette transposition. Il est ajouté qu’un projet de loi de ratification devra ensuite être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance de transposition.

Cette directive, dite également « directive women on boards », entend imposer plus de mixité dans certaines sociétés au sein de l’ensemble de l’Union européenne. L’objectif est annoncé clairement : parvenir à une représentation plus équilibrée des femmes et des hommes parmi les administrateurs au sens large des sociétés cotées en établissant des mesures efficaces tendant à accélérer les progrès accomplis sur la voie de l’équilibre entre les femmes et les hommes, tout en accordant aux sociétés cotées suffisamment de temps pour procéder aux aménagements nécessaires à cet effet.

Au nombre des principales dispositions de la directive, peuvent être retenues les obligations faites aux États membres :

  • d’imposer aux sociétés cotées établies sur leur territoire d’adapter leur processus de sélection des administrateurs pour parvenir aux objectifs chiffrés prévus par le texte ;
  • d’exiger de ces sociétés la publication d’informations concernant la représentation des femmes et des hommes dans leurs conseils ;
  • de déterminer le régime des sanctions applicables aux sociétés qui manqueraient à leurs obligations. Ces sanctions sont librement déterminées. Toutefois, selon la directive, elles doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Ces sanctions peuvent comprendre des amendes ou la possibilité pour un organe judiciaire d’invalider ou de déclarer nulle et non avenue une décision concernant la sélection d’administrateurs effectuée en violation des dispositions nationales adoptées en vertu de l’article 6.

Les États membres avaient jusqu’au 28 décembre 2024 pour transposer la directive dont les objectifs chiffrés devront être atteints par les sociétés concernées au plus tard le 30 juin 2026.

Quels sont les objectifs à atteindre au choix :

a) les membres du sexe sous-représenté occupent au moins 40 % des postes d’administrateurs non exécutifs. (Autrement dit au sein des conseils d’administration et des conseils de surveillance).

b) les membres du sexe sous-représenté occupent au moins 33 % de tous les postes d’administrateurs, tant exécutifs que non exécutifs. (il s’agit du président directeur général, des directeurs général, du président et des membres du directoire).

Avant toute chose, il faut signaler que le droit français est précurseur sur ces questions de mixité au sein des organes collégiaux de direction en vertu de la loi dite Coppé-Zimmermann de 2011 et de la loi Rixain de 2021. Pour plus de détails sur la réglementation en vigueur, nous vous renvoyons vers notre article sur ces questions à consulter ici.

Comme le démontrent les derniers chiffres d’un rapport IFA (à consulter ici), la représentation des femmes dans les conseils d’administration du CAC 40 et du SBF 120 atteint, respectivement, 46,7 % et 46,4 % (au-delà donc des seuils prévus par la loi actuellement en vigueur).

La réforme à venir ne devrait donc être que cosmétique sans revenir sur les acquis du droit interne comme en atteste la feuille de route établie à l’article 5 de la loi DDADUE.

Le Gouvernement veillera ainsi à ce que la transposition corresponde au moins au champ d’application des articles L. 225-18-1 et L. 226-4-1 du Code de commerce.

Le nouveau texte garantira, « dans les conseils d’administration ou de surveillance des sociétés commerciales, l’exigence d’une proportion minimale de 40 % du sexe le moins représenté, pour l’ensemble de leurs membres, quelles que soient leurs modalités de désignation ».

Il est également énoncé dans la loi de ne pas prévoir de nouvelles sanctions et de conserver celles déjà existantes.

Le Gouvernement devra également désigner un ou plusieurs organismes chargés de suivre, d’analyser et de soutenir l’équilibre entre les femmes et les hommes dans la composition des conseils d’administration et de surveillance des sociétés commerciales et dotés de moyens suffisants à l’exercice de ces missions.

Somme toute, trois points doivent finalement être relevés :

  • Il ne faut pas s’attendre à un bouleversement des règles en vigueur.
  • Les SAS ne sont pas visées par les nouvelles obligations et seules seront concernées les sociétés cotées et les SCA et les SA de 250 salariés ou plus et présentant un chiffre d’affaires ou total de bilan d’au moins 50 millions d’euros
  • Conformément à la directive, les administrateurs représentants des salariés devraient être pris en compte dans le cadre de la détermination des seuils de représentation de chaque sexe. Un rapport législatif (à consulter ici) a déjà attiré l’attention du Gouvernement sur ce point « car il paraît difficile de sanctionner une société pour méconnaissance de la règle de quota si cette méconnaissance résulte de la désignation de certains administrateurs salariés».

 

Par Quentin Némoz-Rajot