Entre le 1er et le 19 janvier 2023, le grand public n’a plus eu accès aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs. L’accessibilité est de nouveau permise mais cela ne devrait être que temporaire. Une intervention législative est annoncée pour restreindre l’accès au registre.
Jusqu’à présent, les informations relatives aux bénéficiaires effectifs, actualisées quotidiennement, étaient accessibles gratuitement en open data notamment sur le site data.inpi.fr ou sur le site infogreffe.fr en indiquant par exemple, la dénomination sociale, le numéro SIREN ou le nom du représentant d’une société ou entité.
Le libre accès et la gratuité de ces informations résultaient de la volonté du législateur exprimée indirectement à l’alinéa 2 de l’article L. 561-46 aliéna 2 du Code monétaire et financier : « Seules sont accessibles au public, les informations relatives aux nom, nom d’usage, pseudonyme, prénoms, mois, année de naissance, pays de résidence et nationalité des bénéficiaires effectifs ainsi qu’à la nature et à l’étendue des intérêts effectifs qu’ils détiennent dans la société ou l’entité ».
En application de ce même article L. 561-46 du Code monétaire et financier, les informations relatives aux bénéficiaires effectifs portent sur les éléments d’identification et le domicile personnel de ces bénéficiaires ainsi que sur les modalités du contrôle que ces derniers exercent sur la société ou l’entité. Cependant, l’intégralité de ces informations est uniquement accessible aux sociétés et entités concernées, aux autorités judiciaires, à l’administration des douanes, à l’administration des finances publiques ou aux personnes ayant l’obligation d’identifier les bénéficiaires effectifs comme les avocats, experts-comptables, commissaires aux comptes ou établissements bancaires.
Entre le 1er et le 19 janvier 2023, les informations sur les bénéficiaires effectifs ne furent momentanément plus librement accessibles au public. Contacté par la Presse et notamment le journal le Monde (« Transparence financière : la France suspend discrètement son registre des bénéficiaires effectifs de sociétés », le 05/01/23), l’INPI a mis en avant une décision de la Cour de justice de l’Union européenne avant de rétropédaler en prétextant un incident technique. Cette explication est plausible à l’heure où le remplacement des CFE par le guichet unique géré, lui aussi, par l’INPI suscite de très et trop nombreuses difficultés.
De notre côté, nous n’avions pas réussi à joindre l’INPI et constations que les informations n’étaient plus accessibles pour tous. L’accessibilité a néanmoins été rétablie pour tous, en revanche temporairement.
En effet, une décision politique est attendue car la France, à l’image des autres pays membres de l’UE, va nécessairement devoir adapter l’accès au RBE pour tenir compte de l’arrêt du 22 novembre 2022 dans les affaires jointes C‑37/20 et C‑601/20 (à consulter ici). La suspension connue en janvier a accéléré cette prise de décision afin de se conformer à la position retenue par l’arrêt. A titre d’exemple, le Luxembourg, après avoir suspendu l’accès au RBE, l’a depuis rétabli pour la presse et les professionnels (Voir ici Circulaire LBR 22/01).
Par sa décision, la Cour de justice de l’Union européenne a invalidé le dispositif selon lequel les informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés et autres entités juridiques constituées sur leur territoire devaient être accessibles dans toutes les hypothèses à tout membre du grand public.
Selon la Cour, « l’article 1er, point 15, sous c), de la directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018, modifiant la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE, est invalide en tant qu’il a modifié l’article 30, paragraphe 5, premier alinéa, sous c), de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission, en ce sens que cet article 30, paragraphe 5, premier alinéa, sous c), prévoit, dans sa version ainsi modifiée, que les États membres doivent veiller à ce que les informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés et autres entités juridiques constituées sur leur territoire soient accessibles dans tous les cas à tout membre du grand public ».
Attention, les objectifs de transparence et de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ne sont absolument pas remis en cause par cet arrêt. Il est uniquement question de restreindre l’accès aux informations propres aux bénéficiaires effectifs et in fine les modalités qui permettent de les consulter pour le grand public. Il va être nécessaire de mettre en place un système plus équilibré entre la protection de la vie privée, la protection des données à caractère personnel (garanties par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) et la transparence pour lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Initialement, au regard de la directive de 2015 instaurant RBE, le grand public devait démontrer un intérêt légitime afin d’accéder aux informations du registre. On pouvait imaginer un retour de ce critère, supprimé par la directive précitée de 2018, dans les prochaines semaines.
C’est ce qui a depuis été annoncé par un communiqué de presse (à consulter ici) du Ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique : « les futures modalités d’accès aux données du registre des bénéficiaires effectifs tenant compte de la décision de la CJUE seront définies prochainement, en lien avec les parties prenantes. Elles permettront notamment aux organes de presse et aux organisations de la société civile y ayant un intérêt légitime de continuer à accéder au registre ».
Pour rappel :
Qui est concerné par le registre des bénéficiaires effectifs ?
L’article L. 561-45-1 du Code monétaire et financier énumère la liste des personnes morales tenues de déclarer des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs. Il s’agit notamment des sociétés civiles et commerciales (à l’exception de celles dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé), des placements collectifs, des associations, des fondations, des groupements d’intérêt collectif, etc.
Les informations concernant les bénéficiaires effectifs sont déclarées à la constitution de la société ou de l’entité et doivent être actualisées dès qu’un quelconque changement s’opère, par exemple en cas d’opération sur le capital d’une société ou simplement en cas de changement d’adresse d’un bénéficiaire effectif.
Le fait pour ces sociétés et entités de ne pas fournir aux personnes concernées ou de transmettre des informations inexactes ou incomplètes est puni d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 7.500 euros, pouvant être accompagnés d’une interdiction de gérer et de la privation partielle de droits civils et civiques.
Qu’est-ce ce qu’un bénéficiaire effectif ?
L’article L. 561-2-2 du Code de monétaire et financier définit le bénéficiaire effectif comme étant la ou les personnes physiques (i) soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ; (ii) soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée.
Concrètement, il s’agit de toute personne physique qui soit possède, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société ou entité déclarante, soit exerce sur cette dernière, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle au sens des 3° et 4° du I de l’article L. 233-3 du Code de commerce. Dans l’hypothèse où aucune personne physique n’a pu être identifiée selon ces critères, le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques qui représentent légalement la société ou l’entité.
Pour identifier au mieux les bénéficiaires effectifs, le Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce propose par ailleurs une note détaillée avec des schémas explicatifs.