En cette période de l’année habituellement dédiée à l’établissement, l’arrêté et l’approbation des comptes annuels par les entreprises qui y sont tenues, les mesures de confinement de la population adoptées par le Gouvernement dès le 16 mars 2020[1] pour faire face à l’épidémie de COVID-19 perturbent quelque peu le déroulement de ces opérations. Deux ordonnances du 25 mars 2020 permettent une adaptation à la crise sanitaire qui nous touche tout en favorisant la continuité du fonctionnement des sociétés.
Outre les mesures sanitaires et économiques mises en place depuis le début de la crise en soutien à la population et aux entreprises, le Gouvernement a, sur habilitation du législateur dans le cadre de la Loi du 23 mars 2020 instaurant un état d’urgence sanitaire[2], notamment pris une série historique de 25 Ordonnances le 25 mars 2020, publiées au Journal Officiel du 26 mars 2020, au nombre desquelles :
- L’Ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles relatives à l’établissement, l’arrêté, l’audit, la revue, l’approbation et la publication des comptes et des autres documents et informations que les personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé sont tenues de déposer ou publier dans le contexte de l’épidémie de COVID -19 ;
- L’Ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l’épidémie de COVID-19.
Ces deux ordonnances mettent en place des mesures exceptionnelles dérogatoires au droit commun des sociétés, et plus généralement des entreprises, en vue de faciliter la tenue des réunions et assemblées des organes délibérants (I) et plus particulièrement la campagne d’approbation des comptes 2020 (II) en cette période de crise sanitaire qui a également des incidences fiscales sur l’arrêté des comptes (III).
I. Dispositions générales relatives à la réunion des organes sociaux
Afin d’assurer la continuité du fonctionnement des organes sociaux, l’Ordonnance n°2020-321 prévoit des mesures d’adaptation des règles de fonctionnement des assemblées et organes d’administration, de surveillance et de direction des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale devant se réunir du 12 mars 2020 au 31 juillet 2020, étant précisé que cette période pourra être prorogée par décret, au plus tard jusqu’au 30 novembre 2020[3]. Les assemblées générales pourront ainsi se tenir hors la présence physique des associés pour favoriser la continuité des entreprises.
- Assouplissements à prendre en compte pour la tenue de vos assemblées générales
La satisfaction de vos obligations en matière de communication préalable à la tenue des assemblées de vos sociétés fait l’objet d’une simplification puisqu’il vous sera possible, durant la période évoquée ci-avant, de répondre à une demande de communication préalable par communication électronique[4].
Le recours à la communication électronique ne semble en revanche pas généralisée en matière de convocation aux assemblées générales. A ce titre, nous regrettons que les dispositions de l’article 2 de l’Ordonnance protégeant les sociétés cotées contre le risque de nullité de l’assemblée générale en cas de non-respect de leur obligation de convoquer par voie postale leurs actionnaires devant être convoqués sous cette forme n’ait pas été entendues à l’ensemble des personnes morales et entités entrant dans le champ d’application de l’Ordonnance. Aussi, et en l’état, si la loi ou vos statuts vous imposent une convocation par voie postale, aucune mesure ne nous parait vous permettre de déroger à cette forme de convocation, sauf à obtenir l’accord unanime de l’ensemble des associés de votre entreprise.
Par ailleurs, les règles de participation et de délibération de vos assemblées ont également été temporairement assouplies afin d’éviter des ajournements puisqu’il vous sera possible, durant cette période :
- De réunir une assemblée générale sans que les membres et les autres personnes ayant le droit d’y assister[5] ne soient présents physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle; étant précisé que la participation ou le vote à cette assemblée de ces personnes devra toutefois leur être assuré via les autres moyens permis par la loi et qu’elles devront être informées de la date et de l’heure de l’assemblée ainsi que des conditions dans lesquelles elles pourront exercer l’ensemble leurs droits à ladite assemblée ;
- De prévoir la possibilité de participer à l’assemblée par voie de conférence téléphonique ou audiovisuelle[6] permettant d’identifier ses membres, quand-bien même cette possibilité ne serait pas légalement ou statutairement prévue[7], sous réserve de mettre en place des moyens transmettant au moins la voix des participants et satisfaisant à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations ; les actionnaires/associés participant à l’assemblée seront alors réputés présent pour le calcul du quorum et de la majorité ;
- De recourir à la voie de la consultation écrite[8], quel que soit l’objet de la décision à adopter, y compris l’approbation des comptes annuelles, et sans que cette faculté soit prévue statutairement, pour autant que la loi le permette (ce qui n’est notamment pas le cas pour les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions).
En outre, dans l’hypothèse où vous auriez d’ores et déjà procédé à la convocation de tout ou partie de vos associés et que vous envisagez de recourir à l’un des assouplissements mentionnés ci-dessous, il vous sera possible, en application de l’article 7 de cette Ordonnance, d’y procéder, sous réserve d’en informer les destinataires « par tous moyens permettant d’assurer leur information effective[9] » au moins trois (3) jours ouvrés avant la date de l’assemblée générale. Dans ce cas, l’Ordonnance précise que la modification du lieu de l’assemblée ou des modes de participation ne donne pas lieu au renouvellement des formalités de convocation et ne constitue pas une irrégularité de convocation.
- Simplification des règles applicables aux organes d’administration, de surveillance et de direction
Les règles de tenue des réunions de votre conseil d’administration, conseil de surveillance, directoire ou de tout autre organe d’administration, de surveillance ou de direction ont été également aménagées. Il vous sera en effet possible, sans que cela soit prévu par vos statuts ou votre règlement intérieur, de recourir à la conférence téléphonique ou audiovisuelle ou à la consultation écrite, quel que soit l’objet de la décision sur laquelle l’organe social sera appelé à statuer.[10]
II. Dispositions spécifiques à la campagne 2020 d’approbation des comptes annuels |
Outre les mesures d’assouplissement des règles de fonctionnement des organes sociaux ci-avant exposées et compte tenu des sanctions attachées à l’irrespect de certains délais dans le cadre du processus d’approbation des comptes annuels, l’Ordonnance n° 2020-318 prévoit des mesures de prorogation de ces délais pour les personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé clôturant leurs comptes leurs comptes entre le 30 septembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée.
- Votre entreprise[11] / groupe a clôturé son dernier exercice social avant le 30 septembre 2019 ou votre commissaire aux comptes, si vous en êtes doté, a émis ses rapports avant le 12 mars 2020:
- Vous ne bénéficiez pas de mesures dérogatoires exceptionnelles quant aux délais d’établissement, d’arrêté et d’approbation de vos comptes annuels, ni quant à l’établissement de vos documents de gestion prévisionnelle le cas échéant[12]. Vous devrez donc notamment soumettre vos comptes annuels à l’approbation de l’organe compétent dans les délais de droit commun (i.e. pour la plupart des entreprises, dans les 6 mois de la clôture de l’exercice, sauf prorogation accordée dans les conditions de droit commun);
- En fonction de l’état d’avancement de votre processus d’approbation des comptes, vous pouvez bénéficier des mesures dérogatoires exceptionnelles quant à l’assouplissement des règles de délibérations de vos organes sociaux présentées plus haut.
- Votre entreprise / groupe a clôturé son dernier exercice social le 30 septembre 2019 ou postérieurement et votre commissaire aux comptes, si vous en êtes doté, a émis ses rapports le 12 mars 2020 ou postérieurement :
- Vous bénéficiez en tout état de cause :
- d’une prorogation de trois (3) mois des délais de droit commun qui vous sont applicables pour approuver vos comptes et les documents qui y sont joints le cas échéant, ou pour convoquer l’assemblée chargée de procéder à cette approbation[13][14];
- des mesures dérogatoires exceptionnelles quant à l’assouplissement des règles de délibérations de vos organes sociaux présentées plus haut.
- En outre :
- Votre entreprise / groupe a clôturé son dernier exercice social ou son dernier semestre le 30 novembre 2019 ou postérieurement, vous bénéficiez d’une prorogation de deux (2) mois des délais de droit commun qui vous sont applicables pour établir vos documents de gestion prévisionnelle prévus à l’article 232-2 du Code de commerce lorsque vous y êtes soumis[15];
- Votre entreprise / groupe a clôturé son dernier exercice social le 31 décembre 2019 ou postérieurement, votre directoire bénéficie d’une prorogation de trois (3) mois des délais de droit commun qui vous sont applicables pour présenter vos comptes et les documents qui y sont joints à votre conseil de surveillance[16].
- Vous bénéficiez en tout état de cause :
NB :
- Les délais de droit commun de publication des comptes, pour les entités qui y sont tenues, ne font l’objet d’aucune modification formelle (i.e. pour les sociétés commerciales, un (1) mois à compter de l’approbation des comptes par l’assemblée générale, porté à deux (2) mois en cas de dépôt par voie dématérialisée)[17]. Néanmoins, étant dans la plupart des cas computés à compter de la date d’approbation des comptes, ils seront, en pratique, reportés si vous deviez faire application des mesures exceptionnelles susvisées de prorogation de la date d’approbation de vos comptes.
- Malgré l’annonce de Monsieur le Président de la République, le délai maximum de neuf (9) mois à compter de la clôture de l’exercice social visé à l’article L. 232-13 du Code de commerce pour la mise en paiement des dividendes n’a pas fait l’objet de mesures dérogatoires exceptionnelles à ce jour. Dès lors, si vous deviez faire application des mesures exceptionnelles susvisées de prorogation de la date d’approbation de vos comptes et que l’assemblée entend distribuer des dividendes, il conviendra de veiller à leur mise en paiement au plus tard dans les neuf (9) mois à compter de la clôture de l’exercice, indépendamment de la date de l’assemblée.
Pour exemple, vous trouverez ci-après deux calendriers prévisionnels 2020 pour les sociétés anonymes non cotées en bourse à directoire et conseil de surveillance et pour celles à conseil d’administration et directeur général clôturant au 31 décembre, dotées de commissaire(s) aux comptes et tenues d’établir les documents de gestion prévisionnelle prévus à l’article L. 232-2 du Code de commerce.
III. Incidences fiscales de la crise sanitaire sur l’arrêté des comptes
Les événements majeurs auxquels sont confrontés les entreprises aboutiront, en pratique, à des effets certains sur leur rentabilité et leur santé financière, avec un impact à prévoir tant sur la valeur de leurs éléments d’actifs immobilisés que sur leurs résultats : baisse de chiffre d’affaires, mise en œuvre du chômage partiel, instabilité des marchés financiers, remise en cause de la solvabilité des débiteurs, dépréciation des stocks, voire pertes liées au caractère périssable des stocks…
A l’occasion des opérations en cours de clôture des comptes annuels, et sur la base du constat de l’ampleur croissante de la crise sanitaire, il est légitime de s’interroger sur la prise en compte des effets de l’épidémie sur l’activité opérationnelle et la valorisation des actifs.
Sur ces points, il convient de se référer aux principes posés par la réglementation comptable.
Les événements postérieurs à la clôture de l’exercice susceptibles d’avoir une incidence sur les comptes sont les évènements liés à des conditions existantes à cette date.
1/ Pour l’établissement des comptes au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2019
La propagation pourtant désormais avérée du coronavirus ne peut constituer un événement post-clôture de nature à ajuster les comptes.
En effet :
- seul un nombre limité de personnes atteintes était déjà identifié ;
- l’identification du virus ainsi et sa propagation avérée à l’échelle mondiale ne sont intervenues que dans le courant du mois de janvier 2020 ;
- l’OMS n’a déclaré que le 30 janvier 2020 l’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) face à l’épidémie de Coronavirus.
Ainsi, au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2019 :
- aucune provision pour risque et charges liée à l’épidémie ne pourra être constituée ;
- le chômage partiel ne peut être considéré comme un élément post-clôture de nature à impacter les comptes.
En revanche, une information sur les impacts de l’épidémie post-clôture, dès lors qu’ils sont significatifs, doit être donnée en annexe, conformément aux articles 833-1 et 833-2, alinéa 8 du PCG : valeur comptable des actifs et passifs, dépréciation des créances clients, des immobilisations et des stocks, chiffre d’affaires, etc.
A cet effet, les entreprises doivent évaluer leur capacité à poursuivre l’exploitation, en étudiant les impacts existants et anticipés de l’épidémie. Si la continuité de l’exploitation est compromise, une information appropriée devra figurer en annexe, en intégrant des comptes simplifiés établis sur la base de valeurs liquidatives.
Le rapport de gestion, qui expose notamment « la situation de la société durant l’exercice écoulé, son évolution prévisible, les événements importants survenus entre la date de la clôture de l’exercice et la date à laquelle il est établi » comme le prévoit l’article L. 232-1 du Code de commerce, devra être complété afin de prendre en compte l’épidémie en tant qu’événement post-clôture, même si la société n’est pas en mesure d’en chiffrer les impacts dès l’établissement de ce rapport.
Si aucun impact n’était avéré pour la société, l’information dans le rapport de gestion conserverait son intérêt puisqu’elle permettrait alors de rassurer les tiers.
2/ Pour l’établissement des comptes clos postérieurement au 30 janvier 2020
Dans ce cas, la propagation de l’épidémie constituera un événement en cours à la clôture de nature à motiver l’ajustement des comptes.
Dès lors, l’évaluation des actifs financiers, la constitution des provisions pour dépréciation sur les éléments d’actifs corporels et incorporels ou encore l’appréciation de valorisation des stocks seront des sujets phares de discussion avec les Commissaires aux comptes et pourront nécessiter des diligences plus importantes qu’à l’accoutumée.
[1] Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, abrogé puis remplacé par le Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire modifié par le Décret n° 2020-337 du 26 mars 2020.
[2] LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Décision n° 2020-799 DC du 26 mars 2020) bien que le délai de 15 jours prévu par l’Article 46 de la Constitution n’ait pas été respecté et ce « compte tenu des circonstances particulières de l’espèce ».
[3] Article 1 de l’Ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020. La liste des groupements donnée par ce texte n’est pas limitative.
[4] Article 3 de l’Ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020.
[5] Article 4 de l’Ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020. Sont notamment visées les commissaires aux comptes et les représentants des instances représentatives du personnel.
[6] Article 5 de l’Ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020.
[7] Les conditions légales et statutaires de recours à ces modalités d’assistance aux assemblées sont également neutralisées.
[8] Article 6 de l’Ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020.
[9] S’agissant des sociétés cotées, l’information devra prendre la forme d’un communiqué diffusée de manière effective et intégrale, comme toute information réglementée.
[10] Articles 8 et 9 de l’Ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020.
[11] « Personne morale ou d’une entité dépourvue de personnalité morale de droit privé ».
[12] Article 1 ; Article 3 ; Article 4 et Article 5 de l’Ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020.
[13] Article 3 de l’Ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020.
[14] Ou pour produire le compte rendu financier que les organismes de droit privé bénéficiaires de subventions affectée à une dépense déterminée sont tenus d’établir et de déposer auprès de l’autorité administrative ou de l’organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial conformément à l’Article 10, al. 6, de la Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations
[15] Article 4 de l’Ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020.
[16] Article 1 de l’Ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020.