Exclusion d’associé en SAS : primauté du droit de vote sur les aménagements statutaires

L’exclusion d’associés est une source intarissable de contentieux, a fortiori en SAS. L’arrêt publié au Bulletin rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 29 mai 2024 vient rappeler un principe élémentaire : lorsque la décision d’exclure est prise par les associés en assemblée générale, l’associé dont l’exclusion est en jeu doit pouvoir prendre part au vote.

 

Cass. com. 29 mai 2024, n°22-13.158 à consulter ici

 

Une exclusion qui interroge

 

Aux termes de la jurisprudence et notamment un arrêt remarqué du 12 mars 1996 rendu par sa chambre commerciale, la Haute Juridiction s’est montrée hostile, en l’absence de disposition légale en ce sens, à la sauvegarde de la continuité de la société au profit de l’exclusion d’un associé (Cass. com., 12 mars 1996, n°96-17.813 à consulter ici). Ce droit de faire partie de la société est la conséquence du droit de propriété de l’associé sur ses titres sociaux et lui permet de ne pas perdre cette qualité aisément. Cela rejoint l’article 545 du Code civil qui énonce que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ». Cependant, cela ne signifie pas qu’il est impossible de perdre la qualité d’associé de manière contrainte.

En l’absence de disposition légale en ce sens, s’il est interdit d’imposer à un associé de céder ses titres, il ne lui est, à l’inverse, pas défendu de renoncer lui-même à ce droit fondamental.

L’hypothèse la plus classique d’exclusion d’un associé repose ainsi sur une clause d’exclusion statutaire. Il s’agit d’une stipulation qui a pour objet le retrait forcé d’un associé pour une cause prévue à l’avance. Ces clauses sont autorisées par la loi dans certaines formes sociales dont les SAS en vertu de l’article L. 227-16 alinéa 1er C. com.

Toutefois, il est désormais acquis que ces clauses sont admises dans l’ensemble des formes sociales, même en l’absence d’une disposition légale en ce sens. Néanmoins, il semble nécessaire de recourir à une clause statutaire et non extrastatutaire afin de rendre le mécanisme contractuel d’exclusion opposable à la société. Les statuts peuvent donc aller au-delà des prévisions législatives et ainsi contribuer à la défense de l’intérêt social.

Si la clause est introduite en cours de vie sociale, elle doit avoir été acceptée à l’unanimité des associés car elle augmente leurs engagements en vertu de l’article 1836 alinéa 2 du Code civil ; sauf en SAS.

 

Le cas particulier des SAS depuis la loi Soilihi

 

Dans les SAS, depuis la loi du 19 juillet 2019, l’unanimité n’est pas de mise. En effet, avant ladite loi, une clause statutaire d’exclusion ne pouvait être introduite dans les statuts d’une SAS qu’à l’unanimité des associés. Autrement dit, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, un associé de SAS ne pouvait être soumis à une clause d’exclusion sans avoir donné son consentement lors de la constitution de la société, lors d’une modification des statuts ou encore lors de son arrivée dans le capital social.

Bien que cette position soit critiquée, il est dorénavant licite de modifier, insérer ou supprimer une clause d’exclusion selon les conditions de majorité prévues par les statuts conformément aux dispositions légales propres aux SAS ; en particulier l’article L. 227-19 alinéa 1er du Code de commerce. Cela a été considéré conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel remarquée du 09 décembre 2022 (voir ici notre article sur cette décision).

En clair, cela signifie qu’une décision de la majorité ou à une majorité qualifiée (selon les règles fixées dans les statuts) peut imposer, « en force », l’insertion ou la modification d’une clause d’exclusion statutaire à un actionnaire minoritaire. L’unanimité des associés n’est donc plus exigée pour adopter ou modifier une clause d’exclusion des associés. La chose est entendue.

Mais qu’en est-il des modalités à suivre pour parvenir à l’exclusion en application d’une stipulation statutaire.

 

Les modalités de l’exclusion : quid du vote de l’associé visé par l’exclusion ?

 

Il est nécessaire que les statuts déterminent précisément les motifs susceptibles d’entraîner l’exclusion, les modalités de son prononcé tout comme l’organe compétent pour décider de l’exclusion.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation traite justement de l’organe compétent pour décider de l’exclusion en application d’une clause statutaire.

En l’espèce, il était prévu à l’article 14-1 des statuts d’une SAS qu’un associé pouvait être exclu par une décision collective des associés et que l’associé dont l’exclusion était susceptible d’être prononcée ne pouvait pas participer au vote relatif à son exclusion.

La décision est rendue au visa de 3 articles : 1844 et 1844-10 du Code civil et l’article L. 227-16 du Code de commerce.

La solution retenue est sans surprise et devrait s’appliquer dans l’ensemble des formes sociales et donc ne pas se limiter aux seules SAS. Aux termes de l’arrêt : « il résulte de la combinaison de ces textes que si les statuts d’une société par actions simplifiée peuvent prévoir l’exclusion d’un associé par une décision collective des associés, toute stipulation de la clause d’exclusion ayant pour objet ou pour effet de priver l’associé dont l’exclusion est proposée de son droit de voter sur cette proposition est réputée non écrite ».

Autrement dit, si l’exclusion doit être prononcée par une décision collective des associés conformément aux prévisions statutaires, tous les associés doivent participer au vote, y compris celui dont l’exclusion est envisagée. Au demeurant, l’associé visé doit également être mis en mesure de défendre ses droits ce qui suppose son information en temps utile. Ainsi, les statuts doivent-ils organiser l’information de l’associé concerné voire les conditions dans lesquelles il pourra s’exprimer sur les faits qui lui sont reprochés.

La solution retenue ne surprend guère puisque dans un précédent, déjà publié au Bulletin, la Haute juridiction avait déjà pu affirmer que « les statuts d’une société par actions simplifiée peuvent, dans les conditions qu’ils déterminent, prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions, ce texte n’autorise pas les statuts, lorsqu’ils subordonnent cette mesure à une décision collective des associés, à priver l’associé dont l’exclusion est proposée de son droit de participer à cette décision et de voter sur la proposition ». (Cass. com. 23 octobre 2007, n°06-16.537 à consulter ici).

Si la liberté statutaire est régulièrement avancée en matière de SAS, cette dernière rencontre certaines limites dont celles inhérentes à la qualité d’associé. Traditionnellement mis en avant, le « sacerdotal » droit de vote de l’associé est ainsi conforté par l’arrêt étudié en vertu de l’article 1844 aliéna 1er du Code civil. Certes, l’article L. 227-9 du Code de commerce aménage la prise de décisions en SAS et offre une large liberté d’aménagement statutaire. Toutefois, cette liberté ne peut se faire au détriment des droits fondamentaux inhérents à la qualité d’associé. En filigrane, il faut également imaginer la volonté de protéger le droit de propriété des associés.

Il faut donc retenir que la loi et plus précisément l’article L. 227-16 du Code de commerce, n’autorisent pas les statuts d’une société par actions simplifiée à priver l’associé menacé d’exclusion de son droit de voter lors de la décision collective l’excluant. Aussi, en application de l’article 1844-10 alinéa 2 du Code civil, « toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du présent titre dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée non écrite ». Dès lors, les dispositions statutaires privant un associé de son droit de vote dans le cadre de la mise en œuvre d’une procédure d’exclusion statutaire seront inopérantes.

 

Quelles alternatives à la décision collective des associés ?

 

Le rappel prétorien démontre qu’il est important de mesurer les différents risques et enjeux au moment de désigner statutairement l’organe compétent pour prononcer l’exclusion.

Puisque tous les associés disposent du droit de vote au moment de décider de l’exclusion, on imagine aisément qu’un associé majoritaire ou majoritairement soutenu ne verra pas son exclusion prononcée ; sauf au prix d’une longue et incertaine action ultérieure fondée sur un abus de majorité.

Dans l’attente de l’arrêt annoncé de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, on se gardera bien de prévoir l’adoption de l’exclusion par une décision adoptée par une minorité d’associés.

Toutefois, d’autres alternatives existent et peuvent être, dans certains cas, conseillées. Spontanément, on pourrait imaginer un vote par tête et non proportionnellement à la détention du capital social. Cela devrait, cette fois, bien être conforme à la liberté affirmée par l’article L. 227-9 du Code de commerce.

Il peut aussi être judicieux de confier le pouvoir d’exclusion à un autre organe. En ce sens, les statuts peuvent désigner le président de la SAS ou un éventuel organe de direction comme un conseil de surveillance ou d’administration (Cela suppose toutefois qu’un tel organe existe).

Enfin, si le recours à un arbitre est envisageable, il semble également possible d’accorder ce pouvoir à un juge qui tirera son pouvoir des statuts et se basera, lui aussi, sur les causes d’exclusion statutaires. En revanche, dans le silence des statuts ou au-delà des limites prévues par ceux-ci, le juge n’a pas le pouvoir de prononcer l’exclusion d’un associé. Un tel montage devrait alors être déconseillé face à des causes objectives d’exclusion puisque l’intervention judiciaire apparaîtra plus longue et coûteuse qu’utile.

 

Par Quentin Némoz-Rajot