SAS constituée avant la loi du 19 juillet 2019 : obligation de respecter la procédure des avantages particuliers lors de la constitution

3 avril 2024

La procédure des avantages particuliers prévue à l’article L. 225-14 du Code de commerce s’applique aux SAS constituée avant l’entrée en vigueur de la loi dite Soilihi du 19 juillet 2019.

 

Cass. com. 13 mars 2024, n°22-12.205 (arrêt à consulter ici).

 

L’arrêt, publié au Bulletin, rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 13 mars 2024 tranche, pour la première fois, un litige relatif à l’application de la procédure des avantages particuliers lors de la constitution d’une SAS. La décision présente la particularité de concerner une SAS constituée avant l’entrée en vigueur de la loi de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés du 19 juillet 2019, dite loi Soilihi (à consulter ici).

Cette précision est de taille car cette loi a écarté expressément l’application de l’article L. 225-14 alinéa 2 du Code de commerce qui impose le recours à un commissaire aux avantages particuliers – qui est un commissaire aux comptes n’ayant pas réalisé et ne réalisant pas de mission au sein de la société – pour évaluer les dits avantages particuliers lors de la constitution d’une SAS.

L’enjeu principal de l’arrêt est de connaître la portée de cette obligation à l’égard des SAS constituées avant l’entrée en vigueur du texte mais n’ayant pas ou mal procédé à la procédure des avantages particuliers.

Pour rappel, les avantages particuliers ne sont pas définis par le législateur. Il faut estimer qu’il s’agit de tout droit, prérogative ou encore toute faveur pécuniaire ou autre ayant pour effet de rompre l’égalité entre associés au profit de l’un ou de certains d’entre eux. La mise en place d’actions assorties d’un droit de vote multiple, comme en l’espèce, est à n’en pas douter un avantage particulier et cela n’est d’ailleurs aucunement contesté dans l’affaire étudiée.

 

Faits et procédure

 

Un père et son fils constituèrent une SAS en février 2015. Aux termes de l’article 6 des statuts, le premier obtint 2.225 actions de catégorie B d’une valeur nominale de 100 euros en échange d’un apport de 225.000 euros. Le second devenait quant à lui propriétaire de 25 actions de catégorie A d’une valeur nominale de 100 euros également représentant un apport de 2.500 euros. L’article 12 des statuts établissait ensuite la distinction entre les actions de catégorie A et de catégorie B : les actions de catégorie A étaient assorties d’un droit de vote multiple, conférant 100 droits de vote par action, là où celles de catégorie B conféraient un droit de vote simple, soit un droit de vote par action.

A la suite du décès du titulaire des actions de catégorie B, ses successeurs assignèrent la société et l’associé survivant aux fins de voir annuler les articles 7 et 12 alinéa 6 des statuts de la société ainsi que l’apport en nature de biens immobiliers effectué par le défunt.

Dans un arrêt du 20 décembre 2021, la Cour d’appel de Basse-Terre a ordonné la signature d’actes entre les associés fondateurs (ou leurs ayants-droit) pour assurer le respect par les statuts des articles L. 225-8 et L. 225-14 du code de commerce en ce qui concerne les avantages particuliers prévus par les articles 7 et 12, alinéa 6 des statuts de la SAS, en ajoutant aux statuts l’évaluation des avantages particuliers réalisée suivant rapport du 15 février 2015, la mention et l’annexion de ce rapport sur les avantages particuliers aux statuts. Les articles 7 et 12 alinéa 6 des statuts de la SAS n’étaient donc déclarés ni nuls, ni non écrits.

Or, pour l’associé survivant et la société, ces règles sur les avantages particuliers concernant les sociétés anonymes ne sont applicables aux sociétés par actions simplifiées que dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières de celles-ci. Autrement dit, l’obligation d’avoir recours à la procédure des avantages particuliers lors de la constitution d’une SAS ne serait pas applicable aux SAS constitué avant la loi du 19 juillet 2019 en raison de la réforme intervenue depuis. En effet, ils estiment que l’entrée en vigueur de cette loi vaut régularisation du défaut de mention et d’annexion du rapport relatif aux avantages particuliers dans les statuts.

Par conséquent, la Cour d’appel de Basse-Terre ne devrait pas retenir que la procédure des avantages particuliers n’avait pas été totalement respectée lors de la constitution de la société et, en conséquence, ne devrait pas ordonner la régularisation et annuler les décisions votées avant cette régularisation.

 

Solution et portée

 

  • Sur l’application de la procédure des avantages particuliers

La loi Soilihi a effectivement supprimé l’obligation faite aux sociétés par actions simplifiées de recourir à un commissaire aux avantages particuliers pour évaluer les avantages particuliers accordés à certains associés (par exemple des actions de préférence), au moment de sa constitution. En ce sens, l’article L. 227-1 alinéa 3 du Code de commerce fut modifié pour écarter expressément l’application de l’article L. 225-14 alinéa 2 au sein des SAS. En droit positif, lors de la constitution d’une SAS, les fondateurs sont donc dispensés de la procédure des avantages particuliers.

Dans l’affaire commentée, la société avait été constituée en 2015 donc bien avant l’entrée en vigueur de la loi de simplification du droit des sociétés de 2019. Comme énoncé au §6 de l’arrêt, « selon l’article L. 227-1, alinéa 3, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés, dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières qui leur sont propres, les règles concernant les sociétés anonymes sont, sauf exceptions limitativement énumérées parmi lesquelles ne figurait pas alors l’article L. 225-14, alinéa 2, du code de commerce, applicables aux sociétés par actions simplifiée ».

Une interprétation stricte du texte conduit donc à appliquer la procédure des avantages particuliers lors de la constitution d’une SAS si cette dernière a eu lieu avant l’entrée en vigueur de la loi Soilihi. C’est ce que démontre la Haute juridiction qui relève que « la procédure des avantages particuliers prévue à ce texte n’est donc pas incompatible avec les dispositions particulières régissant les sociétés par actions simplifiées ». Contrairement aux arguments présentés, l’instauration d’avantages particuliers lors de la création d’une SAS constitue une situation définitivement réalisée avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2019. Dès lors, aux termes du §11 de l’arrêt, « il en résulte que cette loi ne peut valoir régularisation de l’irrégularité tenant au non-respect de la procédure prévue à l’article L. 225-14, alinéa 2, du Code de commerce, alors applicable aux sociétés par actions simplifiées ». Aucune application rétroactive de la réforme n’est donc permise.

 

  • Sur l’annulation des dispositions statutaires litigieuses

Qui plus est, l’arrêt ne se cantonne pas à cette seule affirmation et répond également aux arguments présentés par les ayants droits pour que les articles 7 et 12 alinéa 6 des statuts de la SAS soient déclarés non-écrits ou nuls.

En effet, pour ces derniers, en vertu de l’article L. 228-11 du Code de commerce, les actions de préférence sans droit de vote, auxquelles il convient d’assimiler les actions assorties d’un droit de vote dérisoire, ne peuvent représenter plus de la moitié du capital social. A l’appui de leur raisonnement, ils avancent qu’en écartant toute illicéité des articles de la SAS précités mettant en place des actions de préférence et aménageant le droit de vote, cette disposition était violée par la Cour d’appel. Ils relèvent également que la Cour d’appel constate pourtant que lesdites clauses aboutissaient à conférer à l’actionnaire du groupe B, ayant apporté presque 99 % du capital social, un droit de vote minoritaire et dérisoire, tandis que le droit de vote multiple correspondant à 100 voix par action, accordé à l’actionnaire de catégorie A, conduit à ce qu’il dispose d’un droit de vote majoritaire en ayant apporté environ 1 % du capital social.

Cet argument est écarté par la Cour de cassation qui précise qu’il « résulte de l’article L. 228-11, alinéa 3, du code de commerce, que seules les actions privées de tout droit de vote sont prises en compte pour le calcul du plafond de la moitié du capital social ». Encore une fois, il s’agit d’une interprétation littérale, certes stricte, de la loi qui ne vise aucunement les actions assorties d’un droit de vote dérisoire.

Enfin, toujours pour obtenir la nullité des dispositions statutaires litigieuses, les mêmes ayants-cause avancent un nouvel argument fondé sur la manière dont on peut régulariser la procédure des avantages particuliers : l’irrégularité de la procédure de vérification des avantages particuliers ne peut être couverte que par une assemblée générale à laquelle le bénéficiaire ne peut participer. Aussi, estiment-ils qu’en admettant la régularisation de la procédure de vérification des avantages particuliers par une simple signature d’actes par tous les actionnaires, la Cour d’appel a violé les articles L. 225-8 et L. 225-10 du Code de commerce.

Or, comme le rappelle la chambre commerciale de la Cour de cassation, ces deux dispositions ne s’appliquent que dans les sociétés anonymes constituées par appel public à l’épargne en vertu de l’article L. 225-12 du Code de commerce. En l’espèce, le litige concerne une SAS qui, en application de l’article L. 227-2 du même Code, ne peut procéder à une offre au public de titres financiers ou à l’admission aux négociations sur un marché réglementé de ses actions. Aussi, « il en découle que les dispositions des articles L. 225-8, alinéa 3, et L. 225-10 du même code, visés au moyen, applicables aux seules sociétés anonymes constituées par appel public à l’épargne en application de l’article L. 225-12 de ce code, ne sont pas compatibles avec les dispositions particulières régissant les sociétés par actions simplifiées. Elles ne sont en conséquence pas applicables à ces dernières ». Une assemblée générale n’est donc requise que dans les sociétés offrant au public ses titres.

« Dura lex sed lex ». Les différents pourvois sont rejetés et l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Basse-Terre confirmé.

 

Par Quentin Némoz-Rajot