La décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.
Assemblée plénière, C. cass., 15 nov. 2024, Publié au Bulletin et au Rapport annuel.
Arrêt à consulter ici et communiqué de la Cour à consulter ici.
Ces dernières années, rarement un arrêt en droit des sociétés n’avait été autant attendu. La décision rendue en date du 15 novembre 2024 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation vient quasiment clôturer (il faudra attendre l’arrêt de renvoi de la Cour d’appel de Versailles) une (trop) longue saga judiciaire trouvant sa source dans les règles d’adoption des décisions collectives au sein des SAS.
Avouons-le immédiatement, la problématique réglée – devenue « emblématique » – demeure néanmoins peu courante en pratique car les clauses concernées sont rarement utilisées. Qu’à cela ne tienne, la lettre de l’arrêt souligne la généralité de sa portée et le poids qu’entend lui donner la Haute juridiction. En ce sens, l’arrêt aura les honneurs du Bulletin comme du Rapport annuel. L’audience fut également retranscrite en direct sur le site internet de la juridiction.
La décision est rendue dans le contexte d’une SAS, forme sociale qui rencontre un franc succès pratique puisque c’est la société commerciale la plus créée en France depuis des années et, depuis cet été, la société la plus utilisée derrière la SCI. On comprend donc aisément l’importance de la solution rendue par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation. Pour justifier le succès de la SAS, la liberté offerte aux associés est spontanément évoquée.
Le communiqué accompagnant l’arrêt va en ce sens puisqu’il relève que « la SAS a été créée par une loi de 1994, pour répondre à la demande d’acteurs économiques en quête d’un dispositif plus souple que la société anonyme classique (SA). La SAS se caractérise donc par une forte dimension contractuelle qui permet aux associés de déterminer librement, dans les statuts, les prérogatives respectives de la direction et des associés. La création de la SAS a été perçue comme un retour aux sources libérales du droit français des sociétés, rompant nettement avec la logique d’encadrement législatif et réglementaire des SA ».
Cependant, comme le démontre l’arrêt, cette liberté demeure encadrée. Aux dires du Professeur Alain Couret commentant le premier arrêt rendu par la Cour régulatrice dans cette affaire en 2022, la décision : « a une valeur d’information bien réelle pour la pratique car elle met en garde contre des rédactions discutables de clauses en venant préciser ce qu’implique le principe majoritaire, plus particulièrement dans les sociétés par actions simplifiées ». (A. Couret, « La force du principe majoritaire », Dalloz, 2022, p. 342). Cette affirmation est confortée par la lecture de l’arrêt rendu le 15 novembre 2024 ; décision qui clôture les discussions doctrinales comme pratiques portant sur la licéité des clauses dites de décision minoritaire. Ces clauses stipulent plus précisément un seuil « d’approbation » en vertu duquel seuls comptent les votes favorables au projet de résolution. Il s’agit alors de faire émerger une minorité « constructive » prévue le cas échéant pour débloquer une situation.
Plan de l’analyse : les faits (I), la procédure et ses enjeux (II), la solution (III) et son impact (IV).
I. LES FAITS
Lors d’une assemblée générale, une société par actions simplifiée (SAS) a décidé d’augmenter son capital en émettant de nouvelles actions. Le capital social de ladite SAS était détenue par un actionnaire personne morale et par des actionnaires personnes physiques. Elle était présidée par une personne morale qui avait convoqué une assemblée générale extraordinaire (AGE) pour que les associés décident donc d’une augmentation du capital social par l’émission de nouvelles actions accompagnée d’une suppression du droit préférentiel de souscription (DPS) des associés en réservant l’émission des nouvelles actions à la société assurant les fonctions de président de la SAS. Ces délibérations furent adoptées par 229.313 voix contre 269.185…
Dès lors, pourquoi s’interroger sur le sens du vote si la majorité des associés s’était prononcée contre l’augmentation du capital ?
Tout « simplement » car, en l’espèce, les statuts de la société mentionnaient que les associés pouvaient prendre des décisions collectives sans majorité dès lors qu’un seuil de voix était atteint. Plus précisément, l’article 17 des statuts de la SAS disposait que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ».
Face à une telle situation, l’un des associés de la SAS décida d’agir en nullité de l’augmentation de capital, rapidement rejoint par deux autres.
II. LA PROCEDURE ET SES ENJEUX
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 20 décembre 2018, rejeta la demande, confirmant donc le jugement de première instance. L’arrêt fut finalement cassé une première fois par la Cour de cassation dans une décision du 19 janvier 2022 (Cass. com., 19 janvier 2022, n°19-12.696, Publié au bulletin, voir ici l’arrêt et notre analyse à l’époque ici « Sens du vote en SAS : peut-il être imposé par une minorité qualifiée ? »).
Au visa de l’article L. 227-9 du Code de commerce, il fut décidé que nonobstant les stipulations contraires des statuts, les résolutions ne pouvaient être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés. En clair, la Haute juridiction avait considéré qu’une augmentation de capital social devait être adoptée à la majorité simple des votes exprimés. La messe semblait être dite sur le sort de ces clauses de majorité permettant à une minorité d’imposer le sens de son vote à l’ensemble des associés…
C’était sans compter sur la résistance de la Cour d’appel de renvoi qui, dans un arrêt largement relayé, n’a pas statué dans le même sens (CA Paris, 4 avril 2023 n°22/05320). La liberté contractuelle accompagnant la SAS fut mise en avant par la juridiction du fond à l’appui de l’article L. 227-9 du Code de commerce.
Plusieurs éléments de cet arrêt sont à relever pour justifier la solution retenue (ils sont tirés du Rapport du conseiller rapporteur accompagnant la publication de l’arrêt) :
- Les associés d’une SAS peuvent définir, dans les statuts de la société, une procédure d’adoption de décisions collectives, y compris celles portant sur une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription, qui n’applique pas une règle de majorité, mais une condition de seuil dont la seule atteinte permet de considérer comme adoptée la résolution soumise au vote ;
- que tel est le cas de l’article 17 des statuts de la SAS, la condition de seuil, non prohibée par la loi, ne pouvant être remplie simultanément par les partisans et les adversaires du projet de délibération, en l’absence de conditions de rejet de la résolution ;
- que les conditions posées par les statuts ne portent atteinte, ni au droit des associés de participer aux décisions collectives, ni, par elles-mêmes, à l’intérêt social ;
- qu’elles n’entraînent pas de rupture d’égalité entre les actionnaires ;
- que la procédure d’adoption des résolutions fixée par les statuts a été acceptée par tous les associés et déjà appliquée ;
- que la délibération litigieuse répond à l’intérêt social.
Les commentateurs ont alors souligné que la décision, très motivée, était conforme à la lettre de l’article L. 227-9 du code de commerce et convaincante au regard des principes mis en œuvre. Mais ils démontrent, dans le même temps et quasi unanimement, les difficultés pratiques dans le fonctionnement de la société et le contentieux judiciaire important, pouvant en résulter.
Face à ces constats, l’un des associés mécontents de la SAS a en conséquence formé un nouveau pourvoi en cassation. La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mai 2024 (à consulter ici), a renvoyé l’affaire devant la formation plénière qui s’est donc prononcée par l’arrêt étudié du 15 novembre 2024.
Aux termes du communiqué accompagnant la décision, le problème soulevé devant la Cour est le suivant : « Les statuts d’une société par actions simplifiée peuvent-ils prévoir que la décision d’augmenter le capital est prise sans majorité des votes, dès lors qu’un certain nombre de voix favorables à cette opération est atteint ? ».
On peut reformuler en posant la question suivante : une clause des statuts d’une SAS peut-elle stipuler que l’assemblée générale des associés peut valablement adopter une délibération relative à l’augmentation du capital de la société par un nombre de votes favorables, inférieur au nombre de votes défavorables exprimés ?
Autrement dit, il s’agit de trancher entre deux visions opposées :
- L’une faisant primer la liberté contractuelle puisqu’en l’absence de disposition légale impérative, la liberté statutaire accordée par le législateur permet aux associés de SAS de définir comme bon leur semble les modalités d’adoption d’une décision collective et que l’acquisition d’actions, en emportant consentement aux statuts, suffit à valider la décision adoptée en conformité avec ces statuts. En effet, l’exigence d’une majorité ne figure pas expressément dans l’article L. 227-9 du Code de commerce ni dans aucun autre texte.
- L’autre faisant primer une vision institutionnelle de la société caractérisée par le respect de la règle majoritaire ; notamment au nom du bon sens et des pratiques en droit comparé (aucun pays européen ne semblant autoriser des clauses de décision minoritaire). Il semble, selon cette vision, impératif de pouvoir départager les votants en adoptant le sens du vote qui a emporté le plus de voix. Cela signifie qu’une décision collective devrait supposer une majorité des votes exprimés pour être adoptée afin d’éviter d’intempestifs contentieux. En effet, retenir un seuil d’approbation inférieur à la majorité des voix serait susceptible d’aboutir à des décisions qui pourraient être contradictoires. Il est vrai que la même résolution pourrait être approuvée par une première décision minoritaire, puis supprimée par une nouvelle décision recueillant la majorité des voix, voire une minorité concurrente dès lors que le seuil requis par les statuts serait atteint. Il s’agirait alors d’un cercle vicieux contraire aux impératifs du bon fonctionnement sociétaire. Ce qu’une minorité a adopté pourrait être défait dans une décision suivante quelque temps après. La maitrise de l’ordre du jour comme de la formulation de la question posée engendreraient un risque d’instabilité inopportun pour la société et tous son environnement.
III. LA SOLUTION RETENUE
Avant toute chose, sont ici repris les mots du communiqué précité de la Cour accompagnant la décision :
« Au sein d’une société par actions simplifiée, la décision des associés d’augmenter le capital ne peut être adoptée que si elle recueille la majorité des voix exprimées.
Les statuts d’une SAS ne peuvent prévoir d’exception à ce principe.
En effet, la loi impose que les augmentations de capital soient décidées collectivement par les associés.
Or, seul le scrutin majoritaire est en mesure de traduire concrètement cette dynamique collective voulue par la loi.
Admettre une autre solution ferait courir le risque que lors d’un même scrutin :
– deux décisions contraires soient adoptées ;
– la volonté d’une minorité prévale sur la vision que se fait la majorité des associés du devenir de leur société.
La décision de cour d’appel est donc censurée.
La Cour de cassation annule le vote de la SAS qui a conduit à décider une augmentation de capital sur la base d’un nombre de voix minoritaire ».
Pour parvenir à cette solution attendue et qui, de prime abord, relève du bon sens, la Cour régulatrice vise plusieurs dispositions légales afin de limiter comme d’encadrer la liberté statutaire :
- L’article 1844 alinéa 1er du Code civil, d’ordre de public, selon lequel tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. Il est vrai qu’en validant une prise de décision par un minoritaire, le droit fondamental propre à tout associé de participer au vote n’est pas véritablement respecté puisque la participation à l’assemblée et a fortiori son vote peuvent être rendus inefficaces par le sens du vote d’une partie minoritaire des associés. Un seuil minoritaire pourrait conduire, indirectement, à écarter l’application de l’article 1844 du Code civil en offrant à un seul associé le pouvoir de décision, décision qui n’aurait de collective que le nom.
- L’article 1844-10 al. 2 et 3 du même Code aux termes duquel toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du titre IX du livre III du code civil dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société est réputée non écrite. Les actes et délibérations des organes de la société pris en violation d’une telle disposition peuvent, dans la limite prévue par ce texte, être annulés. La règle édictée permet alors de comprendre les sanctions à prononcer si la règle majoritaire n’est pas respectée par les stipulations statutaires. Toutefois, il faut remarque qu’en présence d’une société commerciale, il est curieux de ne pas se fonder sur l’article L. 235-1 du Code de commerce.
- L’article L. 227-9 al. 1er et 2nd du C. com. selon lequel les statuts d’une SAS déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient. Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d’augmentation, d’amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d’une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés. Il s’agit ici de préciser les décisions qui peuvent faire l’objet d’un aménagement des règles d’adoption en matière de SAS ; cela permet alors de clarifier le champ d’application de la solution.
En SAS, ces différentes dispositions ne seraient donc pas respectées s’il était possible d’adopter, en vertu des statuts, des décisions collectives à une simple minorité.
Les arguments exprimés dans l’arrêt rejoignent la vision institutionnelle de la société présentée plus haut. Certes la SAS est une forme sociale où la liberté contractuelle s’exerce de manière évidente à travers de nombreux aménagements statutaires. Néanmoins, ces aménagements, en matière de prise de décision, sont encadrés par un principe fort : « Une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix » (§10).
Pour appuyer cette affirmation, l’arrêt ajoute pédagogiquement que « toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d’un même scrutin, deux décisions contraires ». En conséquence, « il s’en déduit que la décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite ».
Ces principes énoncés, la Cour les applique ensuite au cas d’espèce en cassant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu en 2023. Si elle renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles, elle va plus loin en statuant partiellement au fond. En effet, puisqu’elle constate que la décision litigieuse, qui portait sur une augmentation du capital de la société en cause, a été adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité des votes exprimés, elle en déduit logiquement que cette délibération doit être annulée.
IV. LES IMPACTS DE LA DECISION
Aux termes de cette décision, il est désormais évident qu’il est nécessaire de prévoir statutairement uniquement une règle majoritaire au sens mathématique du terme. Les clauses de décision minoritaire sont donc à bannir sous peine d’être réputée non écrite.
Pour la Haute juridiction, il se déduit des articles 1844, alinéa 1, et 1844-10, alinéas 2 et 3, du Code civil et L. 227-9 du Code de commerce, que la décision collective d’associés d’une SAS, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite (§12).
- Ce que l’on ne peut plus faire
C’est bien le terme « majorité » qui est employé dans l’arrêt, soulignant la nécessité de fixer une majorité qui en soit réellement une et portant à minima sur les votes exprimés. En conséquence, la liberté d’aménagement statutaire – tirant sa source de la loi (Art. L. 227-9 C. com.) – n’est pas totale et fait donc l’objet d’un encadrement. Rappelons que « la majorité est définie comme le « Total des voix qui l’emporte par son nombre lors d’une élection ou du vote d’une décision » (G. Cornu, (dir.) Vocabulaire juridique : PUF, 7e éd., 2005, v° Majorité, 1).
Dorénavant sont ainsi prohibées les clauses de décision minoritaire. On peut le comprendre tant il paraît judicieux de déterminer si une décision est adoptée ou rejetée par le plus grand nombre des voix exprimés. Il est nécessaire qu’un sens du vote se dégage à une majorité pour départager les partisans et les adversaires de la résolution. L’objectif est d’écarter le risque d’une contradiction, c’est à dire que les deux camps puissent simultanément remplir une condition de seuil déterminée statutairement.
Résonnent ici les propos tenus en 2022 par le Professeur François-Xavier Lucas : « ce qui rend obligatoire une prise de décision à la majorité, c’est le fait que la décision doive être prise collectivement par les associés car, comme le juge de façon convaincante la Cour de cassation, il ne peut y avoir de décision prise collectivement sans une majorité de droits de vote qui s’y rallient. Dès lors, cette exigence de majorité s’impose pour toutes les décisions devant être prises collectivement ». (F.-X. Lucas,« Définition de la majorité qu’implique la prise de décisions collectives de SAS », Bulletin Joly Sociétés – n°04 – page 22).
En interdisant les seuils inférieurs à la majorité des votes exprimés dans le cadre d’une décision collective, la Cour de cassation impose un minimum à respecter : que le nombre de votes « pour » soit supérieur au nombre de votes « contre » et dès lors pas nécessairement supérieur à 50% des voix exprimées si plus de 2 propositions sont soumises au vote. (ex. si 3 propositions, il serait licite de retenir comme adoptée celle qui recueille le plus de voix (ex. 38%) sans pour autant atteindre 50% des voix plus une).
- Pourquoi interdire d’insérer une clause de décision minoritaire
Le principe majoritaire ne peut donc plus être écarté statutairement, ce qui devrait apaiser les prises de décision et assurer plus de stabilité au sein des SAS. En effet, comme le relève la Haute juridiction, l’article 1844 du Code civil doit être respecté. Ce texte affirme le caractère d’ordre public du droit de participer aux décisions collectives et, par extension jurisprudentielle, celui de voter (en matière d’exclusion d’associés de SAS : V. not. Com., 29 mai 2024, n° 22-13.158 FS-B et notre commentaire ici). Ces deux droits fondamentaux des associés sont alors respectés par le principe majoritaire imposé par l’arrêt.
De plus, cette exigence d’obtenir la majorité des voix exprimées écarte le risque de l’adoption lors, d’un même scrutin, de deux décisions contraires : l’une conforme au seuil minoritaire statutaire et l’autre conforme à la majorité des voix exprimées par les associés.
- Quels sont les aménagements statutaires visés ?
La liberté contractuelle inhérente à la SAS n’est nullement envoyée aux oubliettes par l’arrêt qui s’intéresse aux seules méthodes de prise des décisions dans les SAS pour en réguler les aménagements.
Pour les hypothèses visées à l’alinéa 2 de l’article L. 227-9 du Code de commerce, dont l’augmentation de capital objet de l’arrêt, le législateur impose une décision collective mais laisse le soin aux statuts d’organiser comment la décision sera prise. Il est donc nécessaire d’aménager les modalités de prise de décision et par conséquent les règles de majorité à respecter pour qu’un vote soit valable. Il est donc parfaitement licite d’imposer statutairement des règles de majorité sévères comme une majorité de ¾ des voix exprimées par les associés présents ou représentés.
Dans le cadre de l’alinéa premier du même texte, la liberté contractuelle s’impose encore plus puisque le législateur laisse cette fois le soin aux statuts de déterminer les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient.
Dès lors, l’arrêt de 2022 rendu dans l’affaire commentée avait suscité des doutes quant au champ d’application de sa solution. S’agissant d’une augmentation de capital, son application aux décisions que la loi réserve à la collectivité des associés en vertu de l’alinéa 2 de l’article L. 227-9 du Code de commerce ne faisait aucun doute. A l’inverse, on pouvait imaginer que la solution ne s’étendait pas aux décisions de SAS pour lesquelles ce sont les statuts qui attribuent volontairement compétence à la collectivité des associés en application de l’alinéa 1er de l’article précité (c’était notre analyse à l’époque).
Désormais, les choses sont claires. L’arrêt du 15 novembre 2024 prend soin de bien viser les deux alinéas de l’article L. 227-9 du Code de commerce. Il est vrai qu’une disparité de traitement paraîtrait incongrue. Soit la liberté est totale soit elle est encadrée quel que soit l’objet de la décision collective. Ainsi, l’arrêt n’établit-il pas de hiérarchisation des décisions collectives selon leur source.
Enfin, au-delà des seules décisions collectives en SAS, la formulation très générale de l’arrêt comme le visa de l’article 1844 du Code civil laissent entendre que la solution pourrait s’appliquer au sein de d’autres groupements (notamment les sociétés civiles art 1852 C. civ.) mais aussi au sein des organes collégiaux de direction. Sous une réserve tout de même, pour un organe de direction, l’article 1844 du Code civil ne s’applique pas.
- Quelles sanctions en présence d’une clause de décision minoritaire ?
L’arrêt est on ne peut plus clair sur ce point : la clause est réputée non écrite en vertu de l’article 1844-10 du Code civil (§13). La précision est de taille car elle écarte le risque d’une prescription de l’action en nullité de la clause illicite.
Par suite, une clause statutaire instaurant une condition de seuil minoritaire violerait donc les deux premiers alinéas de l’article L. 227-9, de sorte que les décisions prises en application de cette clause seraient nulles sur le fondement de l’alinéa 4 du même article et de l’article L. 235-1 du code de commerce. Toutefois, ces deux textes ne sont pas visés par l’arrêt au contraire de l’article 1844-10 du Code civil qui permet d’aboutir, lui aussi, à la même sanction.
A défaut d’une salutaire (pour ne pas dire impérative) récriture des statuts, une difficulté pratique se posera enfin lorsque la clause aura été réputée non écrite. La Haute juridiction vise la clause mais s’agit-il de la clause tout entière ou uniquement du passage propre à la détermination de la majorité ? Nous penchons pour cette seconde possibilité à l’image de ce que la Cour de cassation récemment réalisé en matière d’exclusion en SAS (Cass. com. 29 mai 2024 précité).
Surtout, il faut imaginer qu’à défaut d’aménagement licite des conditions de majorité, surtout en matière d’augmentation de capital, c’est l’unanimité des associés qui sera imposée en vertu de l’article 1836 du Code civil. Or, l’unanimité rendra efficace l’obstruction des minoritaires… On peine en effet à imaginer comment une juridiction pourrait imposer l’application d’une majorité des voix exprimées sans que cela n’ait été envisagé statutairement par les associés en vertu de la liberté contractuelle inhérente à la SAS.
- Quels aménagements pour accorder un pouvoir décisionnel à des minoritaires ?
Stipuler un simple seuil (minoritaire en droits de vote) présente des avantages certains pour adopter des décisions collectives. Cela autorise aussi la sortie de situations de blocage. Plus précisément et comme relever par l’Avocat général, le seuil peut conférer aux nouveaux financeurs de la société, qui souhaiteraient prendre une participation au capital social, des pouvoirs supplémentaires qui leur permettrait, non seulement de garantir sur leur situation ou encore d’adopter des décisions collectives tout en ayant apporté un capital représentant moins de la moitié des droits de vote. A l’origine, l’objectif de l’aménagement n’est donc pas ubuesque ni contreproductif. Dès lors, contrecarrer l’adoption de décisions collectives des associés selon un critère de seuil présente des avantages certains qu’il est toutefois possible d’obtenir par d’autres mécanismes à la licéité certaine.
En voici une rapide énumération par nature non exhaustive :
– Pour commencer, dans le cadre de l’alinéa premier de l’article L. 227-9 du Code de commerce, le recours à une décision collective des associés (donc faisant participer comme voter tous les associés) relève de la liberté statutaire. Il est donc parfaitement possible de confier la prise de décision à seulement quelques associés, au président, à un conseil voire à un tiers à la société.
– Si le choix d’une décision collective est imposé par la loi ou réalisé par les associés, il est à nouveau possible de modifier les équilibres puisque le droit de vote n’a pas obligatoirement à être proportionnel à la détention du capital social.
– Il est licite de mettre en place des actions à droit de vote multiple qui peuvent accorder une minorité de blocage comme la majorité pour certaines décisions. Dans le sens inverse, il est possible de mettre en place des actions de préférence sans droit de vote qui ne peuvent représenter plus de la moitié du capital social.
– le vote par tête est également une solution, chaque associé ayant droit à une voix accorde plus d’importance aux votes des minoritaires.
Conclusion : Vérifiez vos statuts et n’hésitez pas à vous rapprocher de nous pour trouver les aménagements les plus adaptés à vos aspirations !